22 novembre 2022 - Début de soirée - 2 jours avant Thanksgiving





Assise sur le siège passager, je relis cette suite de messages échangés avec mon oncle, il y a environ trois semaines de ça. J'ai bien essayé de le joindre, entre temps, mais sans surprise, je suis tombée sur sa messagerie. Je pousse un léger soupire en scrollant sur mon écran, comme si subitement j'allais découvrir un nouveau message qui serait resté inaperçu, jusque-là, mais nan. Je me suis pas encore trop faite à ce nouveau téléphone, depuis que j'ai pété l'autre, dans ma chute en moto. L'interface n'est pas la même... Mais c'est toujours mieux qu'un écran tactile pété inutilisable. Qu'est-ce qu'il a voulu dire, par j'arrive ? Mon pouce vient verrouiller le téléphone d'une pression sur le bouton latéral et l'écran s'éteint aussitôt. Je m'accoude à la portière, regardant le paysage maintenant familier d'Overtown défiler par la fenêtre. Il est quoi, à peine 18h et il fait déjà nuit dehors.

Je glisse un regard vers Gabriel, après avoir poussé un nouveau soupire : en fait, je ne sais pas vraiment ce que je ressens, à propos de ça. Je crois que j'ai eu l'espoir un peu naïf de voir débouler mon Oncle dans les jours qui ont suivi ses messages. On se voyait tous les jours, avant, au boulot... Et là, ça fait quoi, 7 mois qu'on ne s'est pas vu ? J'avoue que les premiers mois, je l'appelais un peu plus souvent, même si c'était juste pour lui laisser un message... J'me sentais peut-être un peu trop seule, au début... Mais, même si Doug me manque, aujourd'hui, ça va mieux.

Mon regard s'attarde un instant sur Mannoia, et je croise finalement son regard, lui esquissant un léger sourire avant de m'étirer dans mon siège. Ouais. J'me sens plus aussi seule, j'me sens même pas si mal, à Miami... La voiture se gare devant chez moi et du coin de l'œil je vérifie que ma moto est toujours là. Je me pince les lèvres, retirant ma ceinture de sécurité et cherche le regard de celui qui est devenu plus que mon coéquipier. Mes doigts viennent cueillir sa cravate, tandis que, inclinant légèrement la tête sur le côté, je lui demande :

▬ Tu m'déposes juste ou... Tu es libre ce soir ?

Je lui adresse un sourire de chat et on se retrouve à passer la porte de l'immeuble qui n'a toujours pas été réparée et qui s'ouvre d'un simple coup de savate un peu fort. On grimpe les marches, j'oublie volontairement de jeter un coup d'œil à ma boîte aux lettres -je sais qu'un avis pour payer le loyer m'y attend sûrement...- et j'ai autre chose en tête. A peine arrivés sur le palier, mes mains glissent déjà dans la nuque et les cheveux de Gabriel pour exiger ce qu'on s'interdit au comico, en journée. Pourtant, il faut bien que l'une de mes mains parte à la recherche de mon trousseau de clé, au fond de ma poche. J'interromps un instant ce baiser que je compte bien reprendre une fois la porte ouverte pour introduire ma clé dans la serrure flambant neuve, installée il y a quelques semaines maintenant.

Et je me fige soudainement, fronçant les sourcils. La clé ne tourne pas. Comme si la porte était déjà déverrouillée. J'suis pas conne, je suis certaine d'être partie en fermant la porte. Et j'suis la seule à avoir une clé, l'autre personne étant la concierge, qui est d'ailleurs, la femme du proprio...

▬ C'est ouvert... je me contente de souffler, l'air contrarié et méfiant, mes doigts glissant prudemment jusqu'à mon holster, pour dégainer lentement mon arme.

Si c'est le même voleur que la dernière fois, j'vais me faire un plaisir de lui mettre la main dessus... Je prends une inspiration et échange un regard avec Mannoia avant d'ouvrir la porte à la volée en déboulant dans mon appart' comme je déboule en intervention.

Je reste sidérée, le flingue tendu et pointé sur un visage familier. Ma main s'abaisse doucement, tandis qu'incrédule, je remets la sécurité sur mon flingue.

▬ Doug ?! Mais... Qu'est-ce que tu fais là ?

J'abandonne finalement mon flingue désarmé sur le petit meuble de l'entrée comme si c'était un porte-clés pour aller saluer mon oncle d'une petite étreinte maladroite mais trahissant à quel point il a pu me manquer. A commencer par son parfum, qui me fait me sentir d'un coup chez moi. Ce mélange de gros cigare froid, de parfum fort et musqué, et d'autres trucs qui m'échappent mais qui n'appartiennent qu'à lui.  En m'écartant, je me racle légèrement la gorge et lui adresse un sourire : ça tape dans ma poitrine. C'est pas mon cœur, c'est la gamine, en moi, qui tambourine pour sortir étreindre son roc, à son tour. Mais je m'abstiens avec cette réserve qu'on a toujours chez les Collins.

Pourtant, à cet instant précis, je suis heureuse. Je passe une main dans mes cheveux et présente maladroitement les deux hommes dans mon salon qui se dévisagent en chien de faïence.

▬ Euhm, c'est mon Oncle Douglas... Doug, j'te présente Gabriel... Enfin, Mannoia, mon... Les mots restent un peu bloqués alors que je croise son regard, et finalement je tranche, peut-être un peu trop nerveusement : coéquipier.

22 novembre 2022 - Début de soirée - 2 jours avant Thanksgiving

Merde. J'ai trop hésité. J'ai forcément trop hésité. Une fraction de seconde, c'était déjà trop. J'le sais, je le vois à son regard. Je crois que, d'aussi loin que je me souvienne, j'ai jamais ramené personne à la maison, ni à l'appartement avec mon oncle. A part faire de la provocation gratuite à mon paternel, en fréquentant le fond du panier, quand j'étais encore ado, j'ai jamais eu de relation un minimum sérieuse.

Et de toutes façons, j'en voulais pas. Tout plutôt que de reproduire ce petit schéma tout couru d'avance que ma mère a préparé dès le jour de ma naissance. Pas de mariage. Pas de petits-enfants. Désolée Maman. C'est un peu ma revanche, ma façon à moi de reprendre le contrôle sur ma vie... P't'être un moyen de punir le vieux, aussi, au fond, et justifier son impression que sa lignée s'éteigne avec moi...

P't'être que je l'avouerai jamais, au fond, que c'est aussi en partie parce que j'ai déjà pas trouvé ma place en tant que fille et que je vois pas comment je pourrais occuper une place fondatrice dans mon propre foyer ? De toutes façons, la question se pose pas... Même si... Même si, avec Gabriel, j'entrevois quelque chose que j'ai jamais connu... Et que c'est plaisant.

Je ne dis rien, dévisageant silencieusement Doug, humectant mes lèvres au passage comme si je me retrouvais entre un chien et un chat. Je me décrispe finalement quand Doug salue laconiquement Gabriel avant de l'ignorer copieusement. C'est pas plus mal, finalement...

▬ Ton frigo est vide, qu'il commente, comme l'hôpital se foutrait de la charité... J'ai pas le temps de laisser échapper plus qu'un ricanement que Mannoia rebondit volontiers sur le sujet.

▬ C'est plus sûr, marmonne Gabriel en se rendant dans la cuisine tandis que je croise les bras en levant les yeux au ciel d'exaspération. Je sais bien à quoi il fait allusion…

▬ D'une, y'a rien qui prouve que c'était à cause de mes crevettes. De deux, c'est le risque, quand on pique les gamelles des autres. Et de trois... J'mange quasiment pas ici, j'vois pas l'intérêt de gaver mon frigo.

C'est pas une très grande nouvelle, ni pour l'un ni pour l'autre : si je mange déjà plus d'un repas par jour, c'est le grand luxe. La plupart du temps, la clope me coupe l'appétit ou bien j'me laisse prendre par le boulot et j'oublie de manger. Quand je mange, c'est surtout à l'extérieur, ou alors j'ai ni le temps ni l'envie ni -on va pas se le cacher...- les compétences culinaires pour cuisiner. Du coup, je ramène un plat à emporter que je finis rarement. Depuis la planque, Gabriel a pris l'habitude de me ramener parfois une portion supplémentaire, exaspéré qu'il est par mon régime alimentaire... Le dimanche, ça m'arrive d'être conviée au repas dominical des Mannoia.

▬ Tu m’invites pour Thanksgiving et c’est comme ça que tu me reçois ?

J'écarquille les yeux : quoi ? Je dois battre des paupières à plusieurs reprises :

▬ Ok... Je savais pas comment prendre ton "J'arrive", mais maintenant c'est plus clair... dis-je, en décroisant les bras, plus amusée par la situation qu'autre chose. Je passe une main dans mes cheveux, ressentant une nouvelle fois le besoin d'humecter mes lèvres. J'ai envie de lui dire qu'il aurait dû me prévenir, mais finalement, c'est ce qu'il a fait, au fond... Il ouvre ses grands bras et je retourne m'imprégner de ce parfum et de cette chaleur qui me fait me sentir chez moi. Une fois l'étreinte terminée, je lui demande : Tu restes combien de temps ? J'ai qu'un canapé... Je glisse un regard vers Gabriel quand je précise : ...un peu abîmé. Mais j'peux te laisser la chambre si tu...

▬ La porte était ouverte ou fermée quand vous êtes entré, M. Collins ? lance Gabriel, subitement, et je réalise que dans l'excitation de le découvrir là, la question ne m'a même pas effleuré. Mon regard passe de mon partenaire à mon oncle que je dévisage avec intrigue.

▬ C'est vrai ça, comment t'es rentré ? T'as un rossignol ?

22 novembre 2022 - Début de soirée - 2 jours avant Thanksgiving

Bon eh bien comme ça, plus de mystère sur l'origine de mon humour si subtile... Je retiens un ricanement tout en glissant un coup d'oeil à Gabriel dont l'expression est encore figée quelque part entre la sidération et la grimace de désapprobation. Je me mordille brièvement la lèvre pour retenir un sourire : Doug a toujours été comme ça, et je me souviens encore des remontrances sèches de mon paternel et l'exaspération de ma mère qui n'hésitait pas à lui planter son index courroucé dans le torse pour lui dire de surveiller son langage en ma présence.

Je ne sais pas vraiment comment la relation entre mon père et mon oncle a pu autant se détériorer et pourtant, continuer de les garder uni. Déjà gamine, ils me semblaient à l'opposé, l'un de l'autre, mais même encore aujourd'hui, c'est Doug qui fait point de contact entre le vieux et moi. Il pourrait laisser tomber ce combat qui dure depuis bien trop longtemps déjà, mais non... Lui, il continue d'entretenir ce que moi je fuis. Comme par exemple un truc aussi futile que les fêtes de fin d'année. Mes prunelles émeraudes prennent le temps de dévisager celui qui pour moi reste le véritable pilier de ma vie. Je sais que lui, il attache une importance à une valeur qui m'échappe : celle de la famille. Un truc qu'il partage avec Mannoia, d'ailleurs. P't'être que j'ai trop manqué d'un frère, d'une soeur, j'en sais rien, en plus d'un père. Des fois, je me dis que les choses seraient différentes aujourd'hui. Pourtant, j'ai beau nier, j'ai beau rejeter en bloc, y'a toujours ce p'tit truc au fond de moi, je le sais, ce p'tit espoir qu'un jour, j'obtienne de mon père le même regard que celui que Doug a pour moi, quand il me voit débarquer un flingue de service à la main...

▬ Nan en vrai, j’ai fait du gringue à ta logeuse et elle m’a ouvert la porte.

Je fronce les sourcils en croisant les bras, affichant un air entre le sceptique et l'écoeuré.

▬ Quoi, la vénérable fouille-merde ?! Eurk...

Je préfère ne pas imaginer la vieille asiat' en train de faire les yeux doux à mon oncle. Est-ce que je doute de sa capacité à séduire ? Pas tant que ça : à mes yeux, c'est un chic type, mon oncle. Il y a bien des années, il était même marié. Enfin bref, c'est une autre histoire. Je me dis quand même qu'il faudra que j'en touche deux mots à la concierge, histoire de lui donner l'identité des seules personnes que j'autorise à prendre le double...

Puis j'arque un sourcil quand je vois Doug passer son gros bras autour des épaules de Gabriel en soufflant son nuage de fumée de cigare à son visage. Aïe. Je lève une main en amorçant un pas vers eux alors qu'il est en train de gentiment le congédier de mon appart. Double aïe. J'ai prévenu ni l'un, ni l'autre.

▬ Allez, merci pour tout, Ma… Manionia. Fais gaffe sur la route, hein…

Je serre les dents dans une grimace figée sans quitter des yeux cette allumette et ce baril de poudre qui se trouvent beaucoup trop proches l'un de l'autre. J'me suis figée aussi, un instant, comme si le moindre mouvement brusque allait déclencher je ne sais trop quoi d'irréparable.
Un instant, je crains une réaction sanguine de Gabriel, parce que, je commence à le connaître, l'animal, et parce que lui et moi on a déjà essuyé quelques pots cassés, en matière de communication... Et l'idée de voir ces deux là se foutre sur la tronche me fait comme un poids sur l'estomac, je l'avoue.

J'avance vers eux, cherchant déjà comment désamorcer un truc que j'ai du mal à saisir mais Gabriel prend les devants en se dégageant du bras de Doug avec plus de self control que je ne l'aurais imaginé.

▬ Ascolta... « Zio Douglas »... Je ne sais pas pour quel avorton tu me prends mais je t'arrête tout de suite. Tu me touches pas, et c'est Mannoia.

J'peux pas m'empêcher de repenser à notre première affaire, quand j'l'ai menacé de lui péter les doigts s'il s'avisait encore de m'arracher quelque chose des mains. J'imagine qu'il doit ressentir à peu près la même chose que moi. Je ne dis rien, mais le regard insistant que je glisse à Mannoia est éloquent : là, il s'agit de Mon Oncle, c'est pas le voisin, c'est pas un collègue... J'ai absolument pas envie de me retrouver dans une situation où je dois prendre parti. Pas avec eux deux.

Mes doigts viennent doucement attraper l'avant-bras de Doug, comme ils le faisaient déjà avec timidité quand je n'étais qu'une enfant, et je viens me placer presque face à lui, entre Gabriel et lui.

▬ Mannoia et moi, on avait prévu de... Pincement de lèvres. bosser. Mensonge. Mais j'vais quand même pas balancer ça là, maintenant. A la place, j'efface le mensonge de mes lèvres en les humectant brièvement tout en prenant bien soin d'éviter le regard de Doug. Mais, tu dois être crevé après ton vol, alors, on peut sûrement remettre ça à plus tard... Hein ?

J'interroge Gabriel du regard sans vraiment le questionner à ce sujet. Je crois que les conditions sont pas tout à fait réunies pour présenter ces deux-là... Un peu comme quand un berger allemand joueur de 40kg tombe face à un chat grincheux de mauvais poil... Gabriel amorce finalement un pas vers la sortie et j'entends bien l'accompagner dans le couloir pour débrieffer rapidement cette histoire sans la présence de Doug.

▬ Règle ce problème de clefs, Collins. Tout le monde peut rentrer ici, c'est pas possible.

Mes sourcils se froncent légèrement alors que je croise les bras. J'ai pas envie d'alimenter sa mauvaise humeur et sa contrariété avec une réplique trop sèche ou une répartie dont il comprendra pas le second degré, alors je me contente de répondre :

▬ Ouais..., me tournant vers mon oncle, j'ajoute, Fais comme chez toi, j'arrive... pour finalement décroiser les bras et rejoindre Gabriel : J't'accompagne...

22 novembre 2022 - Début de soirée - 2 jours avant Thanksgiving

▬ C'est vraiment ton oncle ce type ? me demande finalement Gabriel, à voix basse, en tenant la porte comme si à tout moment Doug pouvait l'ouvrir à la volée.

Je sens bien qu'il est assez incrédule, ou sceptique, j'en sais rien, et je réalise qu'à la mention de mon oncle, il s'imaginait probablement quelqu'un de plus âgé. Mon père et Doug doivent avoir pas loin de 20 ans d'écart, j'ai jamais trop compris d'ailleurs, pourquoi leurs parents avaient remis la gomme après tant d'années, mais, j'les en remercie, même si je les connais finalement pas tant que ça. Les Collins se trainent des histoires de famille qu'ils entraînent dans la tombe, visiblement. Bref...

▬ Bah, ouais. Pourquoi, tu t'attendais pas à c'qu'il soit aussi en forme, hein ? je lui demande finalement, avec une esquisse de sourire narquois. Je l'avoue, ça m'amuse de voir le visage de Gabriel traversé par toutes ces expressions. Amusée, je lâche simplement en haussant les épaules : Mon père et Doug ont presque 20 ans d'écart... Maintenant que j'y pense, vous devez avoir à peu près le même âge, mon oncle et toi.

Moi, j'y vois pas vraiment le soucis, mais je remarque bien une espèce d'éclair qui traverse le regard de Gabriel qui, finalement, soupire en posant sa main sur mon flanc en se penchant vers moi, déposant un baiser dans mon cou.

▬ Je crois qu'on va remettre notre soirée à plus tard...

J'humecte mes lèvres et me mordille la lèvre, acquiesçant avec une pointe de regret...  A sa proposition de partir du boulot plus tôt demain, histoire de profiter d'une douche que je devine crapuleuse, je souris, d'autant plus amusée par le coup d'œil prudent qu'il glisse à la porte. Mes doigts viennent cueillir sa cravate sur laquelle je tire doucement pour approcher son visage du mien.

▬ Ouais, faisons ça... dis-je, un sourire aux lèvres. C'est drôle, j'ai pas vraiment envie qu'il parte, mais d'un autre côté, tant que j'ai pas parlé à Doug, c'est assez difficile de le retenir ici et espérer que les deux s'entendent... Je sais que c'est devenu plus sérieux, lui et moi, on a tombé les masques, le jour de mon anniversaire. Mais j'ai pas vraiment... eu l'occasion ni pris la peine de dire à ma famille que j'étais en couple, finalement.

▬ Bon, je vais te laisser. Ton oncle a fait de la route pour te voir... Bonne soirée.

▬ J'vais lui parler... A demain, je lui assure, sans le quitter des yeux alors qu'il se penche finalement pour m'embrasser une dernière fois.

Je prends un instant pour prendre une inspiration et passer une main dans mes cheveux comme si j'allais pouvoir cacher ce qu'il s'est passé derrière la porte... Une fois prête, je rentre dans mon appart', avec un sourire aux lèvres. Même si c'était parfaitement inattendu et même si ça ne tombe pas vraiment au moment idéal, je suis vraiment ravie que mon oncle ait parcouru autant de kilomètres pour venir me voir. Alors que je referme la porte à clé derrière moi, je claironne :

▬ Tu as trouvé les bières ?

Je le rejoins, le visage fendu d'un sourire tellement large qu'on dirait une gamine. Je prends une bière pour moi et la décapsule sur le rebord du plan de travail, comme il me l'a appris. Je grimpe sur un tabouret haut et l'interroge du regard :

▬ Alors, j't'ai manqué ? C'est avec un regard et un sourire taquin que je lui demande, mais derrière ma question, y'a surtout un aveu : parce que lui, il m'a vraiment manqué...

▬ J'suis contente que tu sois là... je finis par lui confesser, avec ce petit sourire timide au coin des lèvres avant de venir trinquer, ma bouteille de bière contre la sienne.

22 novembre 2022 - Début de soirée - 2 jours avant Thanksgiving

▬ Bah nan, je me suis tapé 4000km pour serrer de la milf en manque de sensations fortes ! Et elles ne seront pas déçues…

Il sourit et moi, je grimace, l'air écoeuré, comme une gamine qui surprendrait un baiser entre papa et maman, pour la première fois. On est d'accord, je suis pas une sainte nitouche... Mais parler de ça avec mon oncle... ça me fait le même effet que ma mère qui m'interrogerait sur l'usage d'un sextoy. C'est malaisant ! Mais je souris parce que je sais très bien ce qu'il veut dire, derrière ce sarcasme. J'imagine qu'il a dû se sentir aussi seul que moi, au début.

Avec un sourire doux aux lèvres, je lui confesse à quel point je suis contente qu'il soit là. Et sa réponse me fait rater un battement de coeur. Ma puce. Je rougis sans trop m'en rendre compte, mon regard se dérobant pudiquement alors que je glisse une mèche de cheveux derrière mon oreille. Il y avait des lustres qu'il ne m'avait plus appelée comme ça, et ça me fait chaud au coeur... C'est là que je prends conscience du vide que ça a dû créer, chez lui, quand je suis partie... J'aimerais bien lui dire que c'était pas de ma volonté, que j'y étais contrainte parce que je voulais pas que ça foute la merde, au boulot, pour lui... Je le dévisage avec ce regard, celui de la petite fille face à son héros. Un silence s'installe à la place, durant lequel je porte la bouteille à mes lèvres pour la vider d'un bon tiers. Elles sont pas top, on va pas se mentir. Mais je vais au plus simple. Si je voulais de la qualité, je ferais pas mes courses à l'épicerie du coin... Je termine ma bière.

▬ Tu peux me sortir de quoi dormir sur le canapé ?

▬ Ouais, bien sûr !

▬ J’suis claqué et j’ai mal au cul. Faut que je sois en forme pour demain.

Je fronce légèrement les sourcils, l'interrogeant du regard : comment ça, en forme pour demain ? Je pige pas, qu'est-ce qu'il y a de spécial demain ?

▬ J’ai rendez-vous avec ta chef pour un poste aux narco. Une formalité, ma bonne étoile a déjà tout arrangé, si tu vois ce que je veux dire.

▬ Qu... Quoi ? Sérieux ? Mais nan... Tu te fous pas de moi ? et puis finalement, puisqu'il n'a pas l'air de rire, je pars d'un rire franc en levant les bras de victoire. Putain, c'est trop bon ! Trop bien, tu viens vivre à Miami, vraiment vraiment ? C'est génial !

Je suis doublement gagnante, dans cette histoire : je récupère mon oncle et je garde mon partenaire ! Ah... Ah oui, merde, par contre... Je grimace légèrement : ça veut dire qu'il va vraiment falloir que je parle à Doug... Et à Gabriel. Je retrouve mon sourire. Maintenant qu'il risque plus de perdre son poste au LAPD pour violence physique sur ses collègues, je peux lui dire, lui expliquer...

▬ Tu sais... Je voulais pas partir, à la base... Je voulais pas que tu te fasses virer à cause de moi... Mais, ça va, maintenant... J'me sens bien ici... Et maintenant que t'es là, c'est encore mieux. Un sourire sincère, puis je laisse mes doigts pianoter sur le cadavre de ma bière, en esquissant un sourire crispé. Bon euh... Du coup... Puisque tu restes... A propos de Gabriel... Faut que je te dise un truc...