2003, Moscou - Fait-le s’arrêter
Selena se rappelle la première fois que son père à poser la main sur sa mère. Il avait encore bu, il était encore en colère, encore. Ce n'était pas la première fois pour sa mère… Mais pour Selena, si. Son père n’était pas alcoolique, mais son boulot ne lui plaisait tellement pas, qu’il aimait rentrer pour descendre plusieurs bières, et à partir de ce moment-là, il fallait juste être discret, se faire petit. De nature jaloux et possessif, il n'avait pas envie de partager ce qu'il lui appartenait. Il les protégeait à sa manière.
Selena n’avait pas le droit de jouer avec les voisins, ni de traîner après l'école et encore moins d'aller à des anniversaires de ses camarades de classe. Plus elle restait à la maison, mieux c'était pour lui.
Dès son jeune âge, Selena sentait la pression que son père exerçait sur elle, la prison qu'il bâtissait petit à petit autour d’elle, elle savait que c'était mal et que jamais, elle ne pourrait en parler à qui que ce soit par peur de revoir sa mère reprenne davantage de coup, encore et encore.
Comment aurait-elle pu en parler ? Elle est persuadée que ça sera encore pire qu’avant et que personne ne la croirait. Son père était bien vu, il était le père et le mari parfait aux yeux de tout le monde.

Sa mère s'était souvent mise à travers eux, pour éviter que sa fille ne subisse, elle aussi, jamais, elle n'aurait pu penser que son mari aurait été capable de frapper leur fille. Mais c'était arrivé. Cette fois-ci, son père l’avait poussé hors de son chemin et s’était dirigé vers Selena à grandes enjambées pour l’attraper avec ses deux mains.
La joue rougie, elle l'avait regardé les yeux pétillants.
Son père déchire son dessin en mille morceaux, l’encre des feutres avaient traversé la feuille, abîmant le joli mobilier de la table.
Il lui hurlait dessus, comme si la sentence n’avait pas été assez suffisante. C'est la première fois où elle avait réellement eu peur de son père.
Depuis ce jour-là, Selena avait l’impression que l’atmosphère avait empiré au sein de la maison, elle n’osait parfois pas bouger ou encore restait des heures entières dans sa chambre à trouver une occupation.

2008, Moscou - On va partir, je te le promets

Plus les années passaient et plus ça devenait compliqué. De prétendre, de mentir, de subir. Porter des vêtements bien trop longs, pour cacher les ecchymoses sur son corps. Selena a toujours envié les autres, ils avaient tous l’air si heureux, le seul moment de paix qu’elle trouvait, c'était quand elle avait les deux pieds à l’école. Le simple fait de rentrer à la maison était si angoissant. Elle quittait les grilles de l’école avec anxiété et tristesse intérieurement.
Sa mère était fatiguée, Selena pouvait le voir sur son visage. Elle ne prenait plus aucun plaisir à faire quoi que ce soit, même avec elle. La voir aussi mal, la brassait intérieurement. Elle avait tant envie de faire de choses, Selena ferait n'importe quoi pour la voir sourire de nouveau, mais ce sentiment avait totalement disparu de la maison depuis un long moment maintenant. Elle ignore ce qu’il faut faire, elle aurait aimé la traîner hors de cette maison à tout jamais, partir loin, pour toujours, loin de lui.

Il arrivait à Selena de se faufiler dans le jardin pour parler aux voisins à travers la clôture.
Selena avait réussi à décaler une des planches et s'amusait à lancer des petits cailloux sur l'une des fenêtres du dessus quand la solitude la pesait, afin de leur faire comprendre qu’il fallait descendre la rejoindre.
Si son père l'apprend, elle risque de passer un truc mauvais moment, surtout s'il sait qu'elle parle aux enfants Shevchenko. Rien que l’idée de se faire prendre était terrifiant, mais Selena avait terriblement besoin de distraction, de sociabilisation, elle avait envie de jouer avec eux, malgré les risques qu’elle encourrait.

Sa mère lui caressait paisiblement les cheveux, allongée sur le lit, Selena se sentait apaisée. Pensive, anxieuse, elle lève les yeux sur sa mère.
《 Ça sera bientôt terminé mon cœur, je te le promets. 》
《 Maman, on part toujours ? 》
《 Oui… mais laisse-moi le temps de préparer tout ça. On ne peut pas partir du jour au lendemain. 》
《 Tu me le promets ? 》
《 Oui, Selena, je te le promets. 》 Sa mère saisie son petit doigt et lui serra doucement, pour la première fois depuis longtemps, Selena aperçu l’ombre d’un sourire sur son visage.
《 On partira aux États-Unis, il n'y a que là-bas où on sera en sécurité. 》
《 Aux États-Unis ? C'est...  loin. 》
《 On n'a pas le choix, sinon, il nous retrouvera. 》
《 Ne t'en fais pas, tout ira bien. J’ai déjà des pistes, il faut que… Je m’occupe du reste. 》L’idée de partir était si rassurante à ce moment-là, qu’elle extorisa son stress pendant ces quelques heures.

Ce soir-là, sa mère avait fait brûler la viande au four, envahissant la cuisine de fumée. Étouffante, elle avait ouvert la fenêtre pour la faire évacuer. Son père avait pété un plomb, tout simplement.
Selena avait peur, peur pour sa mère et à ce moment-là, l'espace d'un instant, elle avait préféré prendre le coup, plutôt sur sa pauvre mère. Elle s'était mise en travers, le suppliant de ne pas le faire et de la laisser tranquille.
Selena avait eu mal, mais au moins sa mère n'avait rien eu. Son père quant à lui était encore plus en colère par le geste de sa fille.
《 Après tout ce que je fais pour vous… C’est comme ça que vous me remerciez ?
Je travaille dur, POUR VOUS. 》Avait-il hurlé, cette phrase avait fait écho en elle, la culpabilité l’avait prise, elle avait baissé les yeux, rougissante de honte.
Finalement, ce soir-là, toutes les deux avaient eu le droit de passer un mauvais moment.

2010, Moscou - Je l’aime toujours

Son père avait compris pour la clôture, il avait pris sa visseuse et avait vissé toute la clôture, ça lui avait pris l’après-midi entière.
Aujourd'hui était le pire de tous, sa mère n'avait jamais eu l'intention de partir, elle ne faisait que repousser l'inévitable. C'est quand elle s'est pris un nouveau coup que Selena compris que jamais, elles ne partiraient dans un lieu sûr comme lui avait promis sa mère. Ce jour-là, sa mère ne dit rien, elle s’était relevée et avait imploré son pardon.
Assise sur l’une des marches de l’escalier, elle avait observé la scène, longuement et amèrement.

C'est le jour où Selena est partie en courant de chez elle. Pour la première fois, elle avait désobéi. Elle avait attendu qu'il s'endorme sur le canapé et elle avait couru, sans savoir où elle allait.
Être enfermé, avoir l'impression d'étouffer entre ces quatre murs, il fallait qu'elle s'en aille quelque part, n'importe où, sauf ici.

Plus les heures passaient et plus, il faisait froid, elle ne pouvait pas rentrer, son père allait la tuer. La bibliothèque est le premier bâtiment qu'elle croisa.
C'est la bibliothécaire qui a contacté la police en la voyant errer entre les rayons de livres. Elle lui a même fait couler un chocolat chaud et lui a donné sa veste pour qu'elle se réchauffe.
La police l'a ramené chez elle. Son père n'avait jamais aussi bien joué son jeu que ce jour-là, il l'avait même prise dans ses bras et l'avait serré, lui demandant de ne plus jamais faire ça. C'est bien la première fois depuis des années que son père ne l'avait pas prise dans ses bras pour l'enlacer.
Quand la police est partie, Selena à vu le regard de son père se changer, sa mère quitter la pièce, seule face à lui et sa colère.
《 T'es contente ? Ils vont nous coller les services sociaux au cul. 》
《 Je voulais juste… 》
《Tais-toi. T'en as assez fait comme ça. 》
《 Je… Je… Non s'il te plaît. 》Avant qu'il n'abatte sa colère sur elle.

Recroquevillée sur son lit, elle était restée toute la journée dans sa chambre, elle attendait que quelque chose arrive. Que quelqu'un passe cette porte et l'emmène avec.
Selena avait passé la journée à regarder la porte, en attendant, pleine d'espoir qu'une personne ferait quelque chose. Elle se sentait dépassée par les événements, ses pensées se brusquaient, se mélangeaient, soudainement, sa respiration se comprima, ayant de la peine à respirer, suivi de bouffée de chaleur insupportable. Il s'est ensuivi plusieurs minutes avant de pouvoir reprendre une respiration plus ou moins normale.

Puis la porte s'ouvrit, laissant apparaître le visage attristé de sa mère.
《 Tu ne peux plus faire ça, Selena. 》
《 Faire quoi ? 》
《 Partir comme ça… 》
《... Mais… Tu m'avais promis. 》
《 Je sais… mais… on ne peut plus partir. 》
《 Pourquoi ?... 》
《 Parce que j'aime ton père. 》
《 Ce n'est pas vrai. 》
Cette phrase l'avait détruit, elle avait tout simplement tourné la tête, refusant de lui adresser la parole, blessée et vexée par la situation.

2013, Moscou - Assez, c'est assez

Fatiguée, épuisée, mentalement et physiquement, Selena se sentait de plus en plus mal. Elle n’arrivait même plus à croiser le regard de ses parents sans trembler de peur à l’idée de ce qui pourrait lui tomber sur le coin de nez.
Alors, fréquemment, elle s’enfuyait de chez elle, Selena traînait auprès du lac, s’aventurait à la bibliothèque, elle s’était même fait une carte pour emprunter les livres, mais elle l’avait caché dans un endroit bien secret dans sa chambre. L’aquarium, le palais de glace, toute sortie, elle faisait tout pour penser à autre chose.
Selena n’a pas beaucoup d’amis, voir… Aucun mis à part les enfants Shevchenko.
Elle ne sait pas s’ils la considèrent de la même façon, mais elle oui.

Selena a passé la plupart de ses journées à observer l’horizon, se donnant la force de tenir encore un peu, juste un peu. Mais tout était tellement compliqué, difficile à cacher, elle n’avait plus la force de prétendre, de mentir… De faire comme si tout allait bien.
Tout semblant sombré, mais ce garçon, lui a montré la lumière quand elle n’y croyait plus.

Ce soir-là, rentrer à la maison, angoissé par le fait que la lune pointe le bout de son nez, sa mère lui avait appris qu’elle était enceinte… Enceinte. Selena aurait dû être contente, mais elle ne l’était pas, son visage se défait petit à petit. Son cœur implose, impossible de concevoir qu’un autre être-humain subisse la même chose, encore.
《 Quelle est cette odeur ? 》
《 De quoi tu parles, papa ? 》
《 Tu sens… Le garçon. 》
《 … N’importe quoi. 》
《 Tu insinues que je mens ? 》
《 Ce n’est pas ce que je voulais dire… 》
《 C’est qui ? 》
《 Personne. 》 Voyant qu’il perdait pied, elle panique intérieurement et inventa une excuse.
《 J’ai été au centre commercial et j’ai essayé des parfums. 》
《 Tu as fait quoi ? 》
《 J’ai été au … — 》 Rapidement, la claque arriva plus vite qu’elle ne l’avait pas vu venir. Selena a saigné du nez et la deuxième main qu’elle a reçue, lui donna une douleur au niveau de son œil. Selena sait pertinemment qu’elle aurait reçu dix fois pire en disant la vérité.

Le lendemain, son œil avait gonflé, elle en avait marre, elle se sentait submerger. Confuse, perdue dans ses pensées, elle avait pleuré, longtemps, avant de se décider.
Quelques jours plus tard, pendant que tout le monde dormait paisiblement, Selena s’est levée de son lit, en robe de nuit blanche, elle avait traversé le couloir de la chambre, descendu les escaliers, discrètement, elle entendait son père ronfler à l’étage du dessous.
Il avait picolé, Selena s’était posé face à lui et l’avait secoué doucement, il n’a fait que bronché.
Elle s’est dirigé jusqu’au garage, et avait attrapé des bidons d’essence que son père stockait. Selena a devisé le bouchon et avait arrosé l’étage en premier, d’une traînée d’essence, elle avait parcouru jusqu’aux escaliers.
Une fois en bas, Selena reproduit le même chemin jusqu’à lui, elle avait regardé son père une dernière fois avant de l’asperger d’essence. Il ne s’est toujours pas réveillé, elle avait laissé tomber le bidon sur le sol.
Était sortie pour regarder la maison, et d’un coup d’allumette, le feu dansait devant ses yeux, elle l’observa un long moment. Puis un cri provenant de l’étage, elle avait totalement oublié sa mère qui dormait… Paniquée, elle cria à son tour, le feu avait pris une bonne partie de la maison.

Selena se rua à l’intérieur, la fumée étouffante qui lui compressait les poumons, elle essaya d’avancer pour faire sortir sa mère des flammes, l’une des poutres s’abattit sur elle.
Douloureuse et coincée, elle hurla. Elle resta bloquée pendant au moins deux bonnes minutes avant qu’une personne enleva la poutre et la sortie, elle se débattait pour se libérer de ses bras, n’entendant plus les cris de sa mère.
Mais, il avait réussi à la sortir de là. Marko, pourquoi est-ce que tu as fait ça ? Elle aurait pu la sauver, Selena en était persuadée.
Marko est le premier garçon que Selena ait embrassé ce soir-là.

2014, Moscou - Le calme après la tempête

Sa grand-mère l’a accueilli pendant un an, Selena avait passé la plupart de l’année à faire des voyages à l’hôpital, ses brûlures avaient mis du temps à cicatriser et à repousser correctement. Honteuse par la présence de ses brûlures, détruite par le fait d’avoir tout perdu, pourquoi avait-il fallu qu’elle ait cette idée ? Elle s’en voulait terriblement.

On l’a baladé entre psychologues, médecins et autres intervenants de la santé. Tout ce que Selena sait, c’est que la faute a été mise sur son père, considéré comme alcoolisé, légèrement instable émotionnellement. Il a été compliqué d’expliquer ses bleus au personnel de santé, elle avait inventé, encore une fois, des derniers mensonges. Selena n’avait plus envie de parler de cette histoire, de se passer, elle avait juste envie d’avancer, de faire sa vie, de la refaire comme elle l’avait promis avec sa mère.
Cachant et enterrant la vérité avec elle.
Selena compte bien essayer de reprendre ses études là où elle les avait laissés, sa grand-mère avait réussi à la remettre dans ses bouquins.

2017, Moscou - Jet Lag

Et plus les années passaient, moins Selena se sentait chez elle, à Moscou. Ses grands-parents sont morts cette année-là, elle s’est retrouvée seule, avec un léger héritage, elle a réfléchi, longuement. Elle entendait encore la voix de sa mère lui suggérer d’aller aux États-Unis, tout laisser tomber pour tout rebâtir, peut-être que c’était donc ça la seule solution ? Elle sait qu’elle doit terminer ses études avant de partir et que ce n’est qu’une question de mois.

Selena vendra la maison de ses grands-parents pour très peu d’argent, mais ça lui était égal, elle avait besoin de partir pendant qu’elle en avait encore le courage et la possibilité, laissant derrière des années de souffrance, c’était le moment où jamais pour reprendre à zéro, dans un endroit, où jamais son passé ne pourra être déterré.

2020 - Actuellement - Miami

Miami. Selena a très vite accroché à cette vite, l’apprentissage de l’anglais n’était pas évident, mais elle avait soif de connaissances, cette ville chaleureuse, chaude, n’avait rien à voir à Moscou ou à la Russie en général, le pays était si différent. Elle ne regrettait pas d’être partie. Tout était si bien, mieux, elle est déterminée et compte bien écrire une nouvelle histoire, elle veut vivre cette histoire qu’elle avait tant espérée, refaire palpiter son cœur, comme il l’avait fait auparavant, se sentir vivante, faire tout ce dont elle a été privée dans son enfance, les vagues de Miami sont si belles, si enivrantes, qu’elle aimerait y mettre les pieds et s’y aventurer, elle veut tout découvrir, se retrouver elle.

En 2022, Selena à fait des études d’infirmière pour compléter son diplôme de Science.
Elle a l’impression d’avoir enfin trouvé sa place dans cet univers, elle essaye de refaire peu à peu sa vie, elle n’a pas peur de parler de son passé, mais ne parle jamais de ses parents par crainte qu’on finisse par la relier tôt ou tard avec cette vieille affaire d’incendie.
Ce n’est sans compter qu’elle va revoir une vieille connaissance qu’elle a connue de très près.