Buon compleanno, fratellino (Mannoia)

Buon compleanno, fratellino

Les frères Mannoia

21 Novembre 2022 - Soirée

Bosser le jour de son anniversaire, c'est un peu double peine. Mais je me sentais pas vraiment légitime de réclamer une journée off juste pour ce jour. Ce n'est pas bien grave, je sais que demain, on fera un repas avec Nonna, peut-être que les frangins se joindront à nous, et bien entendu, Gabriel fera son gâteau infâme que Nonna n'a pas le coeur à dénigrer... et ce depuis maintenant tellement longtemps qu'elle ne peut plus faire autrement que maintenir le mensonge. Assis dans un petit coin de la cuisine, attendant que le lave-vaisselle prenne fin pour lancer la dernière fournée, je jette un coup d'oeil à mon téléphone : j'ai proposé à Bella de passer la voir, après mon service. J'esquisse un léger sourire en observant son portrait miniature, à côté de ses messages. C'est nouveau, pour elle comme pour moi, mais c'est sincère. Tout ce qui m'anime la concernant, est sincère. C'est ce qui m'a poussé à courir jusqu'à l'hôpital, à son chevet alors même qu'elle avait mis de la distance entre nous.

Pour le moment, rien d'officiel autour de nous, et si les choses avancent doucement, si je lui laisse le temps et la distance qu'il lui faut, ça n'enlève absolument rien à la certitude qu'elle n'est pas comme les autres filles que j'ai pu connaître. Je n'ai pas encore parlé d'elle, à mes frères, mais, c'est difficile de cacher quelque chose à Nonna... Elle, elle est trop clairvoyante. Nonna m'a dit de l'inviter à diner chez nous, mais j'ai peur de la jeter dans la fosse aux lions, avec mon inquisiteur de frère...

Je range le téléphone dans ma poche alors que le lave-vaisselle émet une sonnerie pour signaler la fin du cycle de lavage. Je sors le panier de vaisselle encore fumante et enfourne le dernier panier sale. Et c'est parti. Je défais mon tablier en veillant à laisser mon plan de travail propre et ne rien oublier. Mon collègue passe la tête par la porte et m'annonce qu'il y a du monde qui me demande. J'arque un sourcil, un peu surpris, et quand je passe la porte, c'est pour découvrir mes deux frères. Un large sourire vient fendre mon visage en deux alors que je les regarde à tour de rôle.

— Gabe, Orazio ? Qu'est-ce que vous faites là ? J'allais partir... dis-je, en indiquant la porte, les interrogeant du regard.

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Je tire une nouvelle bouffée en attendant que le petit frère ait terminé son service. Orazio est déjà descendu de voiture, je profite d'une cigarette nouvellement commencée – j'ai dit à Dylan que j'essaierais de limiter les mégots. Il fait froid à l'extérieur, faut que je répare la fenêtre du salon, j'ai un putain de courant d'air qui passe sur le dos pendant que je suis en train de dormir. Je lance un coup d'oeil vers mon petit frère en train de m'attendre et je lève l'index sans commentaire pour lui intimer de patienter quelques instants supplémentaires. C'est pas que j'ai réellement besoin de fumer mais ça me permet comme des instants de pause, c'est la force de l'habitude, c'est juste prendre trois secondes pour ne penser qu'à une inspiration, une expiration.

Les anniversaires étaient pas pareils avant et après Franco pour Orazio et moi, c'est comme s'il manquait toujours quelque chose. Je me suis fait une règle de préparer le gâteau d'anniversaire même si je suis meilleur en véritable cuisine qu'en pâtisserie, je maîtrise mieux les plats en sauce que les pâtes à sucre, faut croire. Mais mon gâteau est une tradition à laquelle j'arrive pas à renoncer et puis, je trouve que je me suis amélioré avec les années...

J'éteins ma cigarette par terre puis glisse ce qu'il reste au-dessus de mon oreille avant de faire signe à Orazio de passer devant moi. Je fourre une main dans ma poche et entre avant de lancer au premier venu :
▬ Alors, il est où Nino ? Mon regard balaie rapidement les lieux avant que le jeune homme ne disparaisse pour bientôt laisser apparaître notre cadet. Je souris et m'approche de lui, serrant le poing pour le frotter contre son cuir chevelu : Alors ptite tête, tu paies pas ton coup ?

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Bon anniv’ fréro

Adossé contre le mur du bâtiment, j’m’en grille une dernière. Il devrait bientôt finir. J’pince ma zigoune entre le pouce et l’index et m’prends une bonne taffe. J’ai mal au bide. J’crois que le tacos de ce midi a du mal à passer. Ou alors c’est d’revoir ce p’tit con après tout ce temps. J’espère qu’il a reçu ma lettre. J’espère qu’il a envie d’me voir. Yaya m’a dit qu’il taffe au Taurus. Elle m’a aussi dit de lui foutre la paix, qu’il aurait sûrement d’autres projets pour ce soir. Fuck ! j’pouvais pas rater son anniv ! Mes doigts gigotent nerveusement sur mon jeans pendant que j’m’enfume les poumons.

Putain de tacos. Les gens affluent ici, c’est un truc de fou. Ça va il s’est mis bien Nino, lui qui tenait jamais en place. D’après yaya il s’est rangé. C’est à peine croyable. Mais, j’parie que son taré de frangin y est pour quelque chose. Il a dû lui retourner le cerveau avec leurs putains de traditions moyenâgeuses. J’peux pas me le sentir, ce flic de merde !

Putain de tacos. Il est en train d’me flinguer la bedaine. J’me redresse, écrase ma cibiche sous ma pompe, et m’fais craquer la nuque. J’respire un coup et m’rends pas très loin de l’entrée pour guetter à l’intérieur, en espérant voir sa frimousse. Quand j’le vois enfin ramener sa fraise, j’peux pas m’empêcher de sourire comme un teubé. Ma joie s’efface lorsque j’aperçois ce sale trou d’uc de flic et puis, j’m’éteins, comme la flamme d’une bougie consumée. J’reste là, sans bouger, observant au loin mon frère afficher un heureux sourire. J’soupire, les lèvres pincées quand j’me fais tout à coup bousculer.

J’vois pas qui c’est, mais quand j’l’entends s’excuser, j’le reconnais. Le deuxième frangin. Orazio j’crois.

C’pas grave. je souffle sans trop lui laisser l’occasion de me reconnaitre, en me tournant sur le côté. Il entre. J’reste là, sans bouger, observant au loin mon frère redoubler un joyeux sourire. J’soupire tout en guettant ce spectacle familial qui m’donne juste envie de gerber. Ou alors, c'est le tacos.

Finalement, j’me résigne et m’abstiens de rentrer. J’fais marche arrière, fourrant une main dans la poche de ma veste et resserre le paquet dans mon poing. Tant pis, une autre fois. Je monte sur ma bécane, démarre et disparais dans l’obscurité. J’ai mal au bide. J’crois que j’ai besoin de chier.

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Orazio

Buon compleano Frate !

Gabi et ses traditions dont il ne démord pas. Chaque année, à chaque anniversaire, on y a le droit. J’m’en plains pas, il est bon. Mais, il devrait étoffer un peu sa recette. Il est trop prévisible, et la surprise qu’il espère susciter à chaque fois l’est un peu moins, car on sait ce qu’on va manger. Mon frère, il est comme ça, de la vieille école. Il a du mal avec le changement. Ça lui a toujours fait peur. Et finalement, j’sais pas trop ce qui l’a décidé de se bouger le cul avec Dylan, mais tant mieux. Il est moins sur mon dos maintenant, j’en avais ma claque d’entendre parler de mariage et de ces foutues traditions familiales.

Je me suis posé très tôt, et finalement ma relation s’est soldée par un échec. Toutes ces années à me priver pour une femme qui n’en valait pas la peine. Je me sens bien, le célibat me plait. Je peux enfin jouir d’une liberté dont jadis, je fus privé, parce que justement, je me pliais à leurs putains de traditions. Nino a raison de gueuler. Gabi fourre un peu trop son nez dans nos vies privées. Parfois, il oublie qu’on est plus des gamins. Beni soit le seigneur de nous avoir envoyé Dylan, comme ça, il nous lâche un peu la grappe. Enfin, quoiqu’il en soit, Dylan ou pas Dylan, son gâteau chaque année, à chaque anniversaire reste le même. Et ce soir, c’est au tour de Nino de souffler une énième bougie.

J’ai rejoint mon frangin à l’entrée du resto où bosse notre cadet, mais nous n’entrons pas tout de suite. Je ne comprends pas pourquoi il veut encore attendre, Nino a fini son service. Au bout de quelques minutes il me fait signe de passer devant. Alors que je le dépasse, je me heurte accidentellement à un mec. Je prends le temps de m'excuser, mais je n’arrive pas voir son visage puisqu'il me tourne aussitôt le dos. C'est bizarre...j'ai l'impression de l'avoir déjà vu...

Gabi me passe devant tandis que je me stoppe un moment pour me retourner et tenter de percevoir le visage de ce mec. Et finalement, comme il se barre, je me resigne, j'ai d'autres chats a fouetter comme l'anniversersaire de notre legendaire Pucino. Je hausse les épaules et rejoins ma fratrie à l’intérieur.

Alors p’tite tête, tu paies pas ton coup ?à mon tour je m’empresse de le saluer d’une petite tape sur l'épaule.

Gabe, Orazio ? Qu'est-ce que vous faites là ? J'allais partir..

Auguri frate ! la douceur d’un sourire passe sur mes lèvres, tu ne pensais certainement pas qu’on allait t’oublier ! Dimmi. Come stai ? T'es d'humeur festive j'espère ?

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Buon compleanno, fratellino

Les frères Mannoia

21 Novembre 2022 - Soirée

Gabriel passe un bras autour de mes épaules pour me frictionner le crâne avec son poing, comme il a pris l'habitude de le faire depuis que je suis gosse. Je me libère pas de son étreinte, pas comme d'habitude, à la place, je pars d'un rire franc et passe une main dans mes cheveux pour y remettre de l'ordre. La vérité ? Je suis heureux de la surprise que me font mes frères? C'est rare, qu'on se retrouve tous les trois, comme ça, entre frères. C'est rare que Gabriel sorte de son rôle de père de substitution pour revenir à sa place de frère. Et c'est rare aussi que lui et Orazio soient sur la même longueur d'onde. Mon autre aîné nous rejoint, me gratifie d'une petite tape sur l'épaule et je redouble un sourire. J'suis heureux, sincèrement. Ils veulent qu'on boive un coup ensemble et très franchement, c'est un truc que j'ai pas envie de décliner.

— Ah, sisi, mais je pensais que vous bossiez tous les deux ! Andiamo ! dis-je en les invitant à me suivre d'un mouvement de menton. Le collègue qui est venu me chercher nous regarde tous les trois d'un air circonspect, et je peux pas m'empêcher de préciser, fier et enjoué que : C'est mes frangins !

Alors qu'on s'approche du bar et qu'on s'accoude au comptoir pour passer commande, je fais un p'tit signe au collègue et précise que c'est ma tournée. Le temps qu'il prépare ça, je pense à ce que j'ai dit à Bella, tout à l'heure, et je me dis qu'il faudrait quand même que je la prévienne. Je sors brièvement mon téléphone de la poche et écris, ni vu ni connu, un petit sms lui disant que j'allais sûrement passer plus tard que prévu, parce que mes frères m'ont fait la surprise de venir me voir. Je dois esquisser un sourire idiot en lisant sa réponse parce que je réalise que ça n'échappe pas à mes frères. Je range mine de rien mon téléphone dans ma poche.

— Hm ? Che cosa ? Rien, j'avais un truc de prévu mais je repousse, c'est pas souvent que j'ai mes deux frangins en même temps ! Le barman nous sert nos verres et je lève le mien pour trinquer : Et en bonus : pas d'affreux gâteau sec de Gabriel ! Je le taquine et ricane. En vérité, je sais que d'une, je n'y échapperai pas, c'est la tradition et Gabriel, il est accroché à la tradition. Et de deux, au final, même si son gâteau est un étouffe-chrétien souvent trop cuit, c'est un geste qui nous touche. Quand Mama est allée en soin, c'est Gabriel qui a voulu garder cette habitude. Et même si on se prend parfois le bec, tous, et bien y'a des choses qui changent pas. Comme le gâteau d'anniversaire, qui nous réunira toujours. comme les repas dominicaux.

Ou encore comme un verre, échangé au bar.

(c) princessecapricieuse

Je salue le collègue d'un simple geste de la tête, me souvenant pas de l'avoir spécialement déjà croisé. J'ai plutôt une bonne mémoire des visages, je m'en souviendrais de toutes façons. J'emmerde Nino en le chopant et frictionnant sa tête de mes phalanges, il s'en offusque même plus. On va finalement au bar et c'est Nino qui invite. Je prends un scotch sec et observe Nino du coin de l'oeil alors qu'il envoie un message avec une sorte de sourire bête aux lèvres. Je lève les yeux au ciel, une donzelle est sur le point de se faire Pulciner... Je pose ma main contre l'épaule du plus jeune Mannoia en lui soufflant de se protéger, sans ajouter qu'une connasse pourrait lui refaire un gosse dans le dos, parce que je veux surtout pas qu'il lui arrive une saloperie, aussi. Mon regard cherche celui d'Orazio, et j'ajoute rien de plus. Lui il sait que ça a été compliqué d'accepter la situation de Nino. Même si, plein de sa sorte de paix naturelle, il a fait comme si ce n'était qu'une bonne nouvelle, il a bien compris la part égoîste qui me faisait chier, au-delà des emmerdes que Nino s'attire avec cette gamine.

▬ Hm ? Che cosa ? Rien, j'avais un truc de prévu mais je repousse, c'est pas souvent que j'ai mes deux frangins en même temps !

On prend nos verres et buvons un coup. Je repose un peu brutalement le verre et lève l'index, offrant ma philosophie au sujet de mon gateau qu'on ose critiquer impunément en plein dans ma face :
▬ Il n'est ni affreux ni sec, c'est toujours la même recette ! Je lève les yeux au ciel et cherche le soutien d'Orazio sans vraiment le trouver, bande d'ingrats. Mais c'est vrai qu'on a pas souvent l'occasion de se retrouver pour boire simplement un coup ensemble. Je termine mon verre et annonce fièrement : Si je peux plus marcher, me faites pas monter sur sa moto de la mort, ordonne-je en pointant Orazio d'un index tendu. Je fais un signe au barman de me mettre le petit frère, laissant mon verre à sa portée. Alors les garçons, vous n'êtes plus des gamins maintenant, enfin un peu moins...

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