Un certain Harrison m’a laissé un message sur le téléphone du boulot. Apparemment, lui et sa femme ont rénové leur baraque et ils veulent que je refasse l’intégralité de leur plomberie. D’après ce que j’ai compris, ils paient grassement. C’est une aubaine, mais je ne vais pas me lancer là-dedans sans avoir regardé l’état de la tuyauterie. Sait-on jamais…question de précaution ! La promesse d’une somme aussi conséquente n’est jamais anodine. J’ai déjà vu des propriétaires doubler le salaire des travailleurs pour que le boulot soit plus rapidement achevé, ou simplement parce qu’aucun expert ne veut ou peut les prendre en charge les travaux, pour X ou Y raisons. Je le rappellerai demain pour fixer un rendez-vous. Là, il se fait un peu tard. Et puis, j’ai réservé ma soirée au fratellino. Ça fait un bail qu'on ne s'est pas octroyé une bonne soirée entre frangins. Donc, je ne prends aucun appel. Sauf peut-être les urgences.

Je file jusqu’à mon ancien logement et gare ma bécane sur le côté. Je fouille dans la poche de ma veste pour prendre mon téléphone et envoie un texto al Pucino.

Moi: Hey Frate ! Boug ton p’tit cul et descends. J’suis là !

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J’attends à peine cinq minutes quand il descend avec sa frimousse habituelle, son sourire malicieux qu’on connait tous et…quelque chose d’inhabituel, le genre de détail qui échappe à la plupart des gens mais que je peux déceler au fond de son regard et qu’il fait taire. De nous tous, Nino est sans doute celui qui sait camoufler le mieux ce qui se passe à l’intérieur. Beaucoup le voient comme un Casanova sans cœur, sans cervelle et impulsif, et pourtant, si on prend la peine de creuser sous la surface, beaucoup se rendraient compte que mon petit frère est un homme bon, généreux, intelligent, compétent avec un grand cœur. On ne va pas mentir, il est aussi doué pour s’attirer des ennuis, mais c’est ce qui en fait son charme et qu’on s’attache.

Il s’approche pour une accolade et j’y m’attarde un peu, l’entourant de mes bras vigoureux : T’as la permission de minuit ? Mes pensées se tournent instinctivement vers Suzanna, cette femme dont le souvenir ne m’inspire plus que douleur et trahison. Un nœud dans ma poitrine se resserre et je me contente d’esquisser un bref sourire en coin, t’inquiète pas pour moi, j’ajoute d’un signe de tête, et toi, il sait que j’suis là ? je lui tends le deuxième casque.

Tu veux faire quoi ? Je fourre mon casque sur la tête.

T’as mangé ? ou j’fais une halte pour un tacos ? j’enfourche ma bécane et attend qu’il se place.

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Gabriel n’a jamais vraiment digéré que je sois parti de la maison. Toutefois, comme je partais construire ma vie avec Suzanna, il a fini par l’accepter. Il en était fier ! car pour le coup, je suivais à la lettres les traditions familiales qu’il idolâtre tant. Et pourtant, sil savait…Je ne l’ai pas encore mis au courant pour notre rupture. Je n’en ai pas envie pour l’instant. Le connaissant, il en ferait une affaire d’état et me chercherait tout un tas d’arguments pour la récupérer, et ce n’est clairement pas ce que je veux. Comment refaire confiance après ça ? La confiance est justement la fondation d'une relation, sans elle, tout s'écroule. C'est moi qui ai demandé à Suzanna de prendre ses affaires et de partir. Je suis peut-être un homme, mais je n'en reste pas moins humain. Et elle...m'a brisé le cœur.

Franchement, la dernière chose dont j’ai envie pour le moment, c’est que Gabriel me saoule avec ça. Depuis que j’ai quitté la demeure Mannoia, il met une telle pression à Nino que je culpabilise d’être parti. Des fois, j’ai vraiment l’impression qu’il ne nous connait pas...Il a trop vite endossé un rôle qui n’est pas le sien: trop vite noyé sous le poids des responsabilités qui ont fait défaut à notre mère, trop fidèle à l’éducation de Franco, obsédé par l’image de la famille parfaite, à cheval sur des traditions bien trop archaïques. Il espère simplement qu’on rentre dans le rang docilement, sans se soucier de ce qu’on veut vraiment.

Il s’en fout. Pour lui, tout ce qui compte, c’est qu’on se plie à ces foutues traditions. Ce n’est pas le frère que j’ai connu. À mes yeux, il est mort le jour où notre père a rendu son dernier souffle. Les années ont passées et ce fossé s’est lentement creusé entre nous tandis que nos liens avec Nino eux, se sont renforcés. Je sais qu’aujourd’hui qu'il  a du mal à accepter que nous partagions certaines choses sans lui. Comme ce soir par exemple, il se vexerait de savoir que nous passons la soirée ensemble, senza lui...

Nan, il était occupé, ouai, comme toujours. Je hausse les épaules tandis qu’il enfile son casque. Tu veux faire quoi ?
Je le copie, sourire en coin puis m’installe sur la bécane : hum…te ridiculiser dans un game ? On lance les paries ?

Avant de partir, même si j’ai déjà ma petite idée, je m’assure de savoir s'il a mangé ou non. Sans grande surprise, son sourire me suffit : J'te rappelle avec qui je vis ? Je hausse les yeux. j’sais pas pourquoi je pose la question, . Je démarre le moteur, tu sais, si tu veux un peu plus de libertés et pas l’avoir sans cesse sur le dos, tu peux rester quelques jours à la maison, lui proposai-je.. Après tout, Suzanna ne vit plus ici. Je tourne la tête pour lui jeter un regard plein de malice à travers mon casque. En plus, il y a de jolies ragazze dans mon immeuble.

T'as mangé, toi ? On peut aller prendre un verre au billard, si ça te dit... Mes doigts se resserrent sur le guidon, prêt à partir.

No ! J’me suis dit que peut-être, on mangerait un bout ensemble. Mais j’oubliais que tu vis avec un psychorigide, dis-je en riant. Un sourire espiègle étire bien en grand mes lèvres, T'inquiète, je prendrai un truc sur la route. Un billard ? Bonne idée ! Voyons voir s’il Pucino sait manier aussi bien les coups de queue au billard qu’avec les damoiselles ! Je le laisse s’installer. Une fois bien calés, nous prenons la route en direction du Cocowalk. Il y a justement un bar à billard très sympa là-bas.

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Gabi a cette fâcheuse tendance à foutre son nez partout, même là où il devrait s’abstenir. Des fois, j’ai plus l’impression d’être un de ses suspects sur l’échafaud, que son propre frère. Il y a des choses que je ne peux pas évoquer avec lui, ça le rendrait malade rien que d’y penser. Je ne me vois pas lui dire que j’ai foutu Suzanna à la porte, je vois d’ici le tableau. Cazzo ! J’imagine que depuis mon départ, Nino a dû l’avoir de plus en plus sur le dos. Poverino ! Sachant que notre fratellino est moins enclin à suivre les traditions qu’idolâtre notre aîné, je m’étonne encore que la maison soit encore debout. J’me dis que ça lui ferait du bien de s’éclipser quelques jours, d’où ma proposition. Je ne vais pas mentir, c’est aussi pour moi que je le fais. C’est vide à la maison. Il y a des fois où j’me sens un peu seul.

Ouais... Merci... Mais, j'crois que Suzanna a sûrement d'autres envies pour ses soirées que d'avoir ton petit frère qui squatte... Et les ragazze... J'lève un peu le pied... Suzanna…Fanculo a questa merda, davvero ! Il va falloir que je les mette au parfum tous les deux. Je ne peux pas leur cacher ça éternellement. Je fixe le vide, songeur.

Suz, c’est de l’histoire ancienne… très vite, pour ne pas lui laisser le temps de réagir, j’enfile mon casque, enfourche ma bécane et fais ronronner le moteur, prêt à partir. Ainsi, il monte rapidement et nous filons à toute allure vers notre destination.

Je sais pertinemment qu’il va me demander quelques explications. Suz' faisait parti de la famille. Arrivés au centre commercial, je gare la bête et ôte mon casque, range le sien et avant qu’il n’enquille sur le sujet, je le devance : on en parle à l’intérieur.

Une fois au rade, on se cale tous les deux à une table puis on se commande un peu de binouze, et pour ma part, un p’tit burger histoire de casser la croûte. Il me fixe, attendant patiemment que je daigne m’expliquer. Il n’a pas besoin de parler, ses petits yeux parlent pour lui. Je hausse les yeux puis lâche un profond soupire. Je me cale au fond de la banquette et humecte mes lèvres : Elle m’a trompée. Je me frotte la nuque. Et s’est retrouvée en cloque. j’évite son regard tandis que le mien cherche désespérément un point d’ancrage où se raccrocher. Donc, je l’ai foutue à la porte. Fin de l’histoire. Tomber de rideau.

Cazzo…ça y est, c’est dit. Je daigne enfin retrouver le regard de mon petit frère, avec cette petite touche mélancolique dans le fond des yeux. Je lui adresse un petit sourire: donc…si t’as envie de passer quelques jours à la maison. T’es le bienvenu. expliquai-je en haussant une épaule.

Quelques instants plus tard, le sujet Suzanna clos, la serveuse nous apporte nos commandes et Nino me parait tout à coup songeur, comme préoccupé: Ok... Ecoute, il s'est passé un truc récemment et... J'crois que j'ai besoin d'en parler... Les yeux et le front légèrement plissés, je m'interroge,
fronçant les sourcils. Ça ne sent pas bon. Il semble nerveux. Cazzo, qu’est-ce qu’il va m’annoncer cette fois ?

Il boit d’une traite une bonne partie de son verre et je le regarde faire en écarquillant légèrement mes yeux. Et tandis que je m’abreuve de ma pinte, il me lâche une véritable bombe : J'ai une fille... Elle... a 5 ans... Elle... s'appelle Lilo...

La binouze a soudain du mal à passer. Et, je la sens malheureusement repartir dans l’autre sens. Elle me ressort finalement par le nez et la bouche, me brûlant au passage les fosses nasales. Oh putain le con, il a failli me faire crever ! Je me tapote le torse de mon poing afin de reprendre mon souffle puis choppe une serviette pour m’essuyer. Je tousse encore un peu puis finis par me racler la gorge en laissant échapper sur un ton sec mais inquiet : Stronzo ! Stupido ! Rompignoli ! T’as idée de ce qu’il va te faire !!! Porco Dio ! Je passe mes deux mains dans mes cheveux et fais pression sur mon crâne, comme pour contenir ce poids immense qu’il vient d’ajouter à mon pauvre cerveau. Je réfléchis tout en le dévisageant. Il va le tuer…

Je sens la moutarde monter : T’aurais pas pu chopper des morpions comme tout le monde au lieu de nous en ramener un grandeur nature ? ! laissai-je échapper en envoyant une gifle dans le vide du dos de la main pour laisser échapper ma colère. Cazzo ! ça ne t’as pas suffi la dernière fois ? Toi et ta fâcheuse manie à fourrer ta queue n’importe où ! Faut vraiment que je t’apprenne comment enfiler un préservatif ?

Je vois bien que cette situation le dépasse. Il n’y a qu’à voir sa tête quand je l'enguirlande. Il est perdu et je crois même qu’il a encore du mal à le réaliser. Et PORCO DIO moi aussi !  Le voir ainsi, si désemparé me fait prendre conscience que je suis un peu dur avec lui. Alors, je me radoucis, le dévisage puis exhale un gros soupir. Finalement, je lève mon cul pour venir m’assoir à ses côtés. Je pose une main fraternelle sur son épaule pour l’inciter à me faire face. Et, lorsque son regard rencontre le mien, je lui esquisse un petit sourire compatissant. Je glisse ma grosse main sur sa nuque et l’attire contre moi.

Au bout d’un moment, je finis par lui souffler : Qu’est-ce que tu comptes faire ? j'ose à peine imaginer Gabriel lorsqu'il l'apprendra, car oui, il va falloir s'y préparer. Il ne pourra pas rester éternellement dans l'ignorance. Une chose est sûre...ça ne sera pas une partie de plaisir...

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