Je devais m'y attendre. Est-ce vraiment si surprenant de sa part ? Assis à table, je reste droit et digne, les lèvres sévèrement pincées, les dents serrées et le regard dur. Jill ne peut tout simplement pas s'imaginer à quel point je range mon mouchoir dans ma poche la concernant, à quel point je lui laisse passer ses humeurs et ses gestes quand je condamnerais probablement le premier qui aurait le malheur de me répondre avec un peu de verve. Le gâteau dégouline sur ma peau, dans mes cheveux et tombe dans un bruit mat tandis que je la darde de mon regard pendant qu'elle s'enfuit dignement de la salle à manger pour trouver refuge je ne sais où.

Mon renard est un feu colérique qu'il est bien difficile de garder sous cloche. Et quand Jill se sent privée de sa liberté, elle explose, tout simplement. Depuis l'attaque et la destruction du Raven, depuis qu'elle a été gravement blessée, elle loge ici, avec moi, dans cette villa qui m'appartient et où je peux veiller à sa sécurité et à son bon rétablissement.

Où je peux l'avoir pour moi et moi seul... Si les premiers jours, les premières semaines, ce séjour de convalescence prenait des airs de lune de miel, ma belle obsession a fini par vouloir quitter cette cage dorée où elle ne manque pourtant de rien. Où elle est traitée en reine... Vladimir lui a barré la route. A table, je l'ai trouvée contrariée. Et quand je lui ai refusé et interdit de quitter la villa, prétextant qu'il était encore trop tôt pour sa blessure, elle n'a rien trouvé de plus puéril que de m'envoyer le contenu de son assiette.

Ses talons claquent furieusement le sol carrelé de marbre et violemment, elle claque la porte de la salle à manger. Je lâche un profond soupire : ça ne se voit peut-être pas, mais j'ai beaucoup pris sur moi de ne pas m'emporter à mon tour. Mon regard assassin s'abat sur Hans et Vladimir à qui j'indique d'un coup de menton de suivre Jill et de ne pas la perdre de vue.

Quant à moi... Je n'ai plus qu'à me changer...