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6h48. Bruit de porte dans l'entrée.
Enroulée dans son peignoir, les genoux remontés jusqu'au nez, dans le fauteuil, j'étais en train de piquer du nez sévèrement. La télé tourne encore sur des programmes que je ne regarde même pas. Elle a juste le mérite de m'avoir tenue éveillée une bonne partie de la nuit. Je manque de faire tomber la télécommande, quand je sursaute. C'est con, mais j'ai gardé mon flingue, pas loin, dans son holster. Au cas où. On sait jamais... Comme si ça pouvait se retourner contre Gabriel ou sa famille... Mais même dans la pénombre, même les paupières alourdies par la fatigue, je reconnais la silhouette qui passe prudemment la porte et avance.
▬ Vas te coucher, qu'il me chuchote, comme on rappellerait pour la énième fois à un môme d'aller au lit. Dormir, oui... Maintenant, ça sera possible... Mais pas tout de suite. Sans le quitter des yeux, je m'étire et lève les bras pour lui intimer de me rejoindre.
▬ Viens… s’il te plaît... Il s'approche, et dans la pénombre, j'essaye de lire l'expression sur son visage, quand il pose ses mains sur mes épaules. Il me sermonne presque, quand il me demande si je suis restée là, toute la nuit et moi, j'acquiesce en silence, m'étirant douloureusement. Ma main vient chercher sa joue en même temps que mes yeux accrochent les siens. Les mots, eux, restent à mes lèvres pendant que l'on se sonde, l'un l'autre, comme on le fait tout le temps. C'est devenu une habitude, de s'entendre dans nos silences. Son visage près du mien, mon nez vient doucement effleurer le sien avant que ça ne soit le tour de nos lèvres.
▬ Allez, viens ici toi il souffle finalement, se penchant pour me prendre dans ses bras, pendant que je m'accroche à lui, me laissant porter en enfouissant mon visage dans son cou. Je ferme les yeux sur son parfum. Sur la chaleur de ses bras. Sur les battements de son coeur que je peux presque sentir contre le mien. Je laisse échapper un murmure alors que d'un pas lent, il se dirige vers notre chambre :
▬ C’est terminé, hein …? ▬ C'est terminé, il confirme, avant de me déposer sur le lit.
Dans un sens, ça me soulage. Dans un sens, c'est derrière. Mais on parle pas d'un sparadrap à arracher. On parle pas mauvais moment à passer. J'esquisse un léger sourire, doux, et lui intime de me rejoindre, mais son sourire à lui, il est de façade. Je le sais, je le sens, je peux les reconnaître... Il s'assied sur le bord du lit, le temps de retirer sa chemise. Il soupire.
▬ Il pleuvait.J'imagine que c'est pas le véritable problème. J'imagine pas d'ailleurs. A la place, je tends l'oreille, et viens me placer dans son dos nu pour y déposer quelques baisers qui se veulent doux, passant mes bras autour de son torse. Comme si, je sais pas, je devenais une sorte de linceul qui le protège, qui le préserve... Je ne le vois pas mais je le devine fermer les yeux quand sa main vient se poser sur l'une des miennes, comme s'il s'assurait que je reste là. Je lui murmure que c'est fini, lui intime de venir s'allonger parce qu'il faut qu'il dorme... Mes lèvres viennent tout doucement se poser sur son épaule, quand je lui murmure de nouveau qu'il a fait ce qu'il fallait... Je le sens caresser le dos de ma main, alors qu'il m'interroge :
▬ Dylan ? ... Tu restes là ?Je fronce les sourcils sans trop comprendre, comme s'il pouvait s'imaginer que j'allais l'abandonner.
▬ Bien sûr… tu penses que je veux partir où ? Je voudrais faire taire le brouhaha qui l'habite, à cet instant. Je voudrais que ses pensées arrêtent de ricocher et tourner sans cesse. Je voudrais lui offrir la paix, le repos, ne serait-ce que pour la nuit... Je me lève pour venir me placer en face de lui, et mes doigts viennent chercher son menton pour lui faire relever les yeux vers moi. Pour que mon regard attrape le sien.
▬ Je suis là… je vais nulle part... je lui assure, dans un nouveau murmure, alors que mes doigts caressent avec douceur son visage aux traits graves et fatigués. Je m'approche d'un pas, me glissant entre ses genoux pour l'inviter à nicher son visage contre mon ventre. Mes doigts glissent dans ses cheveux, alors que je souffle :
▬ Parle moi… Il hésite, mais je lui laisse le temps de chercher ses mots.
▬ Je devrais regretter, tu crois ? Quelques secondes passent...
Je regrette pas.Mes doigts glissent toujours dans ses cheveux, avec cette douceur que je lui réserve alors que je laisse quelques secondes couler, le temps de choisir mes mots. Est-ce qu'il y a quelque chose à regretter ? La seule chose de regrettable, c'est notre système judiciaire... Mais je peux comprendre ce tourment. Je l'imagine. Je ne peux que l'imaginer... Doucement, je relève de nouveau le menton de Gabriel pour voir ses yeux, effleurant sa joue en douceur, au passage.
▬ … Plus aucun gamin ne subira quoique ce soit de sa part… Y’a rien à regretter… C’était un fumier… Je dépose enfin un baiser délicat sur son front et souffle :
Je suis désolée… J’aurais dû venir avec toi… Qu'est-ce que j'aurais bien pu faire de plus ? Rien, je le sais bien. Mais je voudrais soutenir avec lui la moindre charge qui s'ajoute et pèse sur ses épaules et qu'il s'acharne à vouloir porter seul. Gabriel passe sa main sur ma joue. Et il met enfin des mots sur sa crainte.
▬ Je veux pas que tu penses que ça, c'est moi. Il a mérité ce que lui est arrivé.Un léger soupire s'échappe d'entre mes lèvres, alors que je love ma joue dans sa main. Un murmure, encore.
▬ Je sais qui tu es, Gabriel… Et je sais ce que tu n’es pas. Ce n'est pas un tueur. Sûrement pas un assassin. Aussi sales et poisseuses de sang pourraient être ses mains. Je le sais.
▬ Je t'aime, Collins, il laisse échapper, un faible sourire au coin des lèvres. Dans un écho, je lui retourne ses mots, avec ce même sourire.
Et puis, le prenant par la main, je l'entraîne avec douceur jusqu'à la salle de bain, là où ses pensées couleront en même temps que l'eau sur sa peau...
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