Je m'assieds en face d'elle, elle regarde par la fenêtre. Sa vue sur le jardin ne semble l'intéresser que par moments. Je passe la main dans ma nuque et attends quelques instants qu'elle veuille bien m'accorder de son attention. Elle cligne plusieurs fois des yeux puis finalement consent à se tourner dans ma direction, elle semble contrariée. Non... elle est triste. Je pince les lèvres et hésite à tendre le bras pour finalement poser ma main sur la sienne. Son regard contemple mes doigts immobiles avant qu'elle se laisse aller à l'un de ses souvenirs tombés sur l'instant comme un cheveu dans le café, comme d'habitude :
▬ C'est Nino qui a les yeux de ton père, pas toi, pas Orazio.

Je retire ma main et soupire longuement, appréciant peu qu'elle ne décolle les lèvres que pour ce genre de remarques. Je me tasse dans le fond de mon fauteuil en croisant les bras et les jambes. Voilà qui ferait aussi plaisir à Orazio par ailleurs. Elle hausse des épaules et ramène ses longs cheveux noirs vers l'arrière, j'y remarque que les mèches blanches y sont de plus en plus présentes. En d'autres temps, elle n'aurait pas accepté de se laisser voir comme ça.
▬ Tu te laisses aller, lui dis-je en l'observant sans trop de gêne. Puisqu'elle a ouvert les hostilités et qu'elle a envie de faire de la philosophie sur la couleur de nos yeux, je lui réponds simplement par une observation sur la couleur de ses cheveux. Elle le devine car son regard suit le mien et elle passe la main dans ses cheveux. Elle frappe mon genou sans trop de forces et me braille dessus :
▬ T'es qu'un ptit con ! Ingrat ! Tu sais à quel point je travaille, moi, pour vous nourrir tous ? Son index tremblant pointe sa poitrine alors qu'elle se met debout et se rapproche de la fenêtre. Elle tapote le carreau du doigt puis ouvre la fenêtre en la faisant coulisser doucement. Elle passe le bras à l'extérieur et remue la main comme si elle découvrait le courant d'air qui passe en ce début de soirée. Bref silence.

▬ Je suis pas venu me disputer Lucia... J'avais besoin de savoir si y'a des antécédents de maladies cardiaques dans notre famille. J'attends quelques instants, elle ne réagit pas. Je t'ai fait une tarte au c...
▬ Alors t'es une bonne femme, maintenant ? me lance-t-elle en tournant brutalement dans ma direction. C'est fait pour me blesser, je le vois dans son regard plein de défiance. Elle en a bouffé des années de ces discours avec Aldo alors c'est normal que maintenant, elle me les remette dans la gueule. J'inspire profondément par le nez et soupire lourdement en décroisant les bras et les jambes. Je prends largement sur moi pour me mettre debout et me placer dans son champ de vision. J'insiste d'un simple « s'il te plaît » pour qu'elle me réponde. Je ne veux pas poser la question à Nonna, ça l'inquiéterait trop, et je ne veux pas en dire trop à Orazio non-plus. Je sais qu'un matin, Aldo était raide mort mais j'étais jeune, pour moi il est juste mort comme ça, d'un coup. Et la famille de Lucia ? Je glisse les mains dans les poches, elle vient près de moi et penche la tête à gauche, à droite, observant avec attention les traits de mon visage. Je travaille tard pour vous Gabriel, tu le sais ? Je soupire à nouveau...
▬ Je vais y aller Lucia... Prends soin de toi.