Éclairée de mille feux, la place rouge resplendissait de mille et une lumières blanches, éclairant chaque bout de la fête foraine, des lampions sont suspendus. La grande roue tranchait la pénombre de la nuit, il n’y avait pas de place pour les faisceaux lunaires, la fête foraine prenait l’endroit, la musique émanait des stands, enjouaient plus d’un, l’odeur des churros, de la barbe à papa venait chatouiller les narines au plus curieux. La place rouge était vivante, il y avait tant de monde, tant de visiteurs qui étaient venus juste pour admirer le spectacle qu’elle pouvait offrir pour une nuit de pleine lune. Des policiers patrouillaient pour le bon vivre de l’évènement et mettre hors de nuire les personnes un peu trop alcoolisées qui auraient tiré un peu fort sur la vodka.

Je dois l’avouer, je n’ai jamais trouvé intéressant de venir à la fête foraine, ce n’était pas dans le genre de mes parents de m’entraîner dans un endroit pareil, mais c’était beau à voir, la fête donnait envie de prendre mes jambes et d’arpenter le lieu, observer les stands, tous ces visages ravis, qui profitaient de ce qu’offrait Moscou. Je ne les envie pas, je trouve ça injuste. Je leur en veux de s’amuser autant que moi, c’est probablement puérile, mais c’est plus fort que moi. Ce qui me rassure davantage dans cette belle soirée seule, c’est que je rejoins des gens… Et pas n’importe qui… Les enfants Shevchenko. Ils ne le savent pas encore, mais je les attends de pied ferme, j’ai observé toutes les personnes avec patiente et déterminations, ils ne devraient pas tarder.

Parfois, on doit donner aux gens un avant-goût de leur propre médecine. Je vais vous détruire dans la plus belle des façons possibles et quand je partirai, tu comprendras pourquoi on donne des noms aux tempêtes. Je ne veux pas vous voir mourir, mais je veux vous voir souffrir, comme moi, j'ai souffert. Après tout ce temps, j’ai enfin trouvé un but à ma vie. Qu’ai-je donc à perdre ? J’ai déjà tout perdu, il ne me reste plus rien, plus rien à m’accrocher, plus rien à me suspendre, si je le pouvais, je creuserai moi-même vos tombes, crois-moi, vous aurez ce que vous méritez. Il le regretta un jour, oui, peut-être pas aujourd’hui, ni demain, mais un jour, ils regretteront de ne pas avoir terminé le travail correctement.
Je m’avance parmi la foule, j’attends, j’observe, où sont-ils ? Il y a tellement de monde que je n’arrive plus à savoir qui vient d’arriver et qui vient de partir, je soupire longuement en apercevant le stand de tir. 
Présenté d’une table noire et de nombreuses carabines posées sur celle-ci, les ballons en latex, gonflés, flottaient derrière des petites cages, il fallait les éclater afin de pouvoir gagner certains cadeaux suspendus autour du stand. L’homme à la barbe blanche hurlait en russe de venir essayer de relever le défi, peu de personne arrivent réellement à toucher ces fameux trois ballons. 
Mes pas se ralentissent, s’arrêtent. Je manque même de percuter quelqu’un, celui-ci me gronde en me demandant de faire attention où je vais. Ne l’écoutant pas vraiment, il regarde les trois personnes face à lui, face au stand de tir de carabines, l’un d’eux, cheveux blonds, avec la carabine dans les mains. 

Je te reconnais. J’ai déjà vu ton visage. Je me suis renseigné sur toi. Tu n’es que l’un des fils Shevchenko accompagné de ta fratrie, je vous ai presque ratés, ça aurait été réellement regrettable. Je réfléchis brièvement, je reprends ma marche dans votre discussion, j’observe ton coup de fusil, tu as l’air plutôt doué, même si tu rates le dernier ballon, aurait pu mieux faire… J’arrive à peine à croire que vous êtes aussi près de moi, mais aussi loin à la fois, je fais mine d’attendre mon tour et te regarde longuement.
Je ne pensais pas vous trouver aussi facilement, je m’attendais à ce que vous aviez changé, les photos que j’ai pu trouver date un peu, mais vous n’avez pas changé d’un seul trait. Je me rappelle des traits de visage de ton grand-père comme si c’était hier, je dois même avouer qu’il y a une certaine ressemble, ce détail me donne envie de plus vous détester, pour autant je porte un sourire quand tu finis par te retourner et que nos regards finissent par se croiser. 

« Ah, tu y étais presque. »

Je ne sais pas vraiment comment m’y prendre pour me faire une place dorée auprès de vous, je n'ai jamais été doué socialement, mais je vais comme si ce n’était qu’un détail, je me force mentalement à prendre les devants, de te donner une raison de me parler, de me donner de l’importance, car c’est avec toi, avec vous, que je réussirai mon plan, vous à mes côtés. Je vois que tes accompagnants me regardent, je dépose mes yeux sur eux un court instant, puis je te regarde d’un faux sourire amusé et regardant les deux autres pour savoir s’ils étaient de la partie ou non.

« Je suis sûr que je te bats.
On se fait un pari ? Si tu gagnes, je t’offre n’importe quelle partie. »

Tes balles dégomment presque toutes les canettes, je suis concentré et j’observe ta position, tu as quel âge ? Tu sais déjà tenir une arme correctement, tu sais visiblement tirer – enfin, tu as quand même raté ton dernier tir. Pour un gosse, c’est plutôt pas mal, mais je sais ce que ça veut dire, ton connard de paternel te forme – vous forment pour devenir ses sbires afin de faire ce que vous avez fait subir à ma famille.
Je ne vous laisserai pas faire, c’est hors de question que ça arrive, je sais que ce n'est pas ta faute au fond, mais j’ignore ma pensée et ma conscience, je choisis de la taire.

Elle sonne étrangement ; T’es qu’un gosse, tu n'as rien demandé, ce n'est pas ta faute tout ça, on t’a matricé pour que tu deviennes ainsi, tu es devenu le petit larbin parfait pour ton abruti de père, excuse-moi du terme… Mais toi et ta fratrie, vous allez devenir comme ça, c’est dans vos gènes, son sang coule dans vos veines, vous êtes des Shevchenko, alors pour le bien de tous et pour tout ce que votre famille a fait endurer à temps – je fermerai la boucle infernale, dans l’ombre – tu ne me verras arriver. Aucun de vous, non aucun, ne me verrez arriver, personne ne me soupçonnera, j’ai envie d’apprendre vos malfaisances pour vous faire la même chose, pour vous briser de l’intérieur. Je veux que vous souffriez, l’enfer que ça me fait vivre quotidiennement, vous n’avez aucune idée, de la douleur et des ténèbres que ça m’inflige.

Tout le monde le sait, votre famille est une famille de pourrie, je suis persuadé que je ne suis pas le seul à vouloir vous voir six pieds sous terre. Je sais ce qu’il se passe quand je te regarde, ton père va faire de vous ce qu’il est, vous allez répéter son cercle vicieux, personne ne fera rien pour l’arrêter, mais moi, je n'ai pas peur, je n'ai pas peur de la mort, elle ne m’effraie pas et je ne ploierai pas le genou face à lui, s’il le faut, je mourrai en défendant mon honneur, mais il est hors de question – que je le laisse me briser une nouvelle fois – un jour… Je tiendrai la batte. Pas aujourd’hui, ni demain, mais un jour.

Je vous regarde tous les trois, Svetlana, la blonde avec sa boisson, plutôt jolie, mais honnêtement, je n'ai pas le temps de traîner avec une fille et encore moins avec une Shevchenko, dans une autre vie, je n'aurais certainement pas dit non – mais ça serait comme s’accouder aux Démons de Lucifer. Nikolaï, le gamin peut être trop jovial qui me regarde comme si j’étais un extraterrestre et enfin – Marko, le prince de la glace, je crois que là-dessus, on se rejoint plutôt, bien qu’un peu jeune, je ne suis pas le genre de personne à me faire des amis, l’amitié, c'est éphémère, ça ne sert à rien à part souffrir. Vous ne m'éprenez pas, je ne suis pas là pour papoter, votre fin sera plus funeste, mais j’ai besoin que vous me fassiez un minimum confiance pour apporter le coup fatal.
Je fais mine de rigoler quand tu me racontes que j’ai un gros égo, t’es un rigolo toi, t’as mangé un clown ce matin ou t’es vraiment débile comme ça tous les jours ? Vous devez avoir le cerveau sacrément atteint.

« Non, je dis juste que je sais tirer et visiblement pour ton âge, tu sais plutôt bien tirer aussi. Les échecs nous rendent plus forts, n’est-ce pas ? »

Je hoche la tête lentement quand tu me demandes si je suis sûr de moi, sans vouloir me la péter, je suis quand même bientôt agent secret, je gagne un salaire, je suis plutôt bien payé, et je peux offrir une partie à un mioche, ce n'est pas ça qui va me ruiner. Je te donne un sourire amusé et sors un billet que je tends à la nana qui attend qu’on paye pour mettre de nouvelles cartouches dans l’arme que tu as dans les mains.

« N’importe quelle partie, reprends ton billet petit, j’offre celle-là aussi. »

Je me sens d’humeur généreuse, peut-être parce que je sais ce que donnera la finalité de ce que je suis entrain de créer avec vous trois. J’affiche un sourire au coin quand tu me dis de commencer, je te mets le billet dans la poche et prends l’arme en main, je crois que j’aurais aimé qu’elle soit réelle pour terminer tout de suite ce que je veux commencer – mais j’aime prendre ma patience en main – chaque chose en son temps.
Je vise et tire dans les quatre canettes parfaitement dans un temps presque imparti, même la nana du stand est surprise, je te regarde et te donne un sourire, je fais glisser l’arme jusqu’à toi.

« Donne tout ce que tu as. »