▬ C’est trop tard pour moi. Vous devez partir. Tant que vous le pouvez. Sauvez-vous Oswald. Vous avez beaucoup à perdre en restant ici...

Je fronce les sourcils, légèrement décontenancé. Beaucoup à perdre en restant ici. Mon établissement a été infecté, souillé. En plus de cette intrusion qui m'insulte et me débecte, me plongeant dans l'obligation de prendre des mesures extrêmes, je dois veiller personnellement à la survie de l'agent Valentine. Fuir et abandonner ne fait pas parti de mon vocabulaire. Je peux prendre le temps qu'il faut, mais j'obtiens toujours rétribution. Et il est hors de question de céder face à la pression qu'exercent les Bones. Beaucoup à perdre. Certes le Raven n'est autre que l'Acropole de la pègre de Miami, mais fort heureusement, je n'y ai pas investi toutes mes billes. Le temps m'est compté pour mettre en route les dispositions que j'avais pris par mesure de précaution. Mais le temps de Miss Valentine est d'autant plus précieux. Beaucoup à perdre. Comment peut-elle se soucier de ce que moi je pourrais perdre alors que mes doigts s'enfoncent dans sa plaie pour garder son sang à l'intérieur de son corps ?

Sauvez-vous Oswald. Mes sourcils sont froncés et je ne réponds rien, agacé à la simple idée qu'elle puisse mourir là, ici, maintenant, comme le plus vulgaire des dommages collatéraux. Le courant se coupe, m'interdisant l'accès à mes quartiers. Mon regard perçant balaye les environs jusqu'à ce que je trouve notre prochaine destination. Je ne me soucis pas de M. Lagerlöf, occupé à régler leur compte à d'autres envahisseurs, ni aux autres. J'ai abandonné ma canne sur le sol, parmi les débris divers et les mares de sang. Je déploie une force probablement insoupçonnée compte tenu de ma stature et de ma jambe quand j'attrape l'agent Valentine contre son avis pour la transporter dans une des salles privées où se déroulent parfois des négociations et que je prête parfois aux employées du Black Swan. Comme je suis quelqu'un de prévoyant et de hautement paranoïaque, il y a également toujours du matériel de premiers secours dans ces salles.*

Sans lui accorder mon regard, je la porte dans mes bras, non sans boiter, jusqu'à l'intérieur, une expression plus que sévère sur le visage. Je la dépose sur la banquette, en tâchant de contrôler ma descente. Avec violence, je barricade la porte qui s'ouvre vers l'intérieur avec un fauteuil et trouve dans la pénombre la petite boîte de secours, cachée derrière les épais rideaux. Toujours silencieux, je retourne au chevet de Miss Valentine qui blêmit à vue d'oeil. Avant toute chose, j'utilise l'alcool à désinfecter pour nettoyer mes doigts, puis sans perdre de temps en délicatesse, en déverse sur la plaie de l'agent du FBI. Je ne déroule qu'une partie de la compresse, que j'enroule autour de mon index et de mon majeur pour en faire une ancre puis inserts mes doigts ainsi bandés dans le trou dans son abdomen. Elle crie de douleur, mais ça ne m’émeut pas suffisamment pour me couper dans mon élan. Je continue de bourrer le ruban de gaze dans sa plaie pour couper l’hémorragie et termine le pansement avec une bande de compression.

En silence, je la dévisage, nettoyant vainement le sang sur mes mains avec un chiffon. Je n’ai pas pris la peine d’être délicat, je la voulais consciente. Et je la sais suffisamment bornée pour encaisser cela.

▬ Je vous ai interdit de mourir.

Je jette le chiffon qui m’a servi à m’essuyer les mains et tout en continuant de la dévisager. Allongée, là, blessée, faible, vulnérable… À ma merci. Et me voilà dans l’étrange position d’être le sauveur.

▬ Je vous avais dit de ne pas rester, mais vous n’en faite qu’à votre tête. Allez-vous finir par m’écouter ? je siffle, agacé, avant de m’approcher d’elle, les lèvres pincées…

*:

Nevar

Jill

« Un pas de plus pour se perdre et l'on se trouve. »

Il aimait la mort, elle aimait la vie, il vivait pour elle, et elle est morte pour lui. Je crois que j’ai enfin compris le sens de ces vers. C’est drôle, comme d’infimes petites choses peuvent prendre tout le sens lorsqu’on embrasse la Mort. Elle dévoile notre vraie nature, celle qui dort au fond de notre âme. Je vois la vôtre Oswald. Je vous vois, enfin, aussi clairement que le bleu cristallin de vos yeux qui ne cessent de m’éviter.

Vous m’interdisez de mourir, alors que vous n’avez eu de cesse de me mépriser. Mais tout ça n’est qu’un artifice pas vrai ? Car derrière cette armure de glace que vous revêtissez, survit un homme brisé. Vous n’êtes pas aussi antipathique que vous le prétendez. Ne voyez-vous pas l’opportunité que vous offre ma mort ? Libéré des chaines du FBI à jamais, et votre empire vous retrouverez. Alors pourquoi Diable vous ignorez mes dernières volontés pour tenter de me sauver si ce un tant soit peu par empathie à mon égard ? Pourquoi prendre la peine de me porter jusqu’à cette salle isolée en laissant derrière vous votre canne ? Je sais la valeur qu’elle représente pour vous…avez-vous perdu la tête Oswald ?

Vous ne me décochez pas un mot, pas un regard. Vous luttez pour me mettre à l’abri, tandis que cet endroit part en fumée et la lumière ploie dans l’obscurité. Vous barricadez la porte avant de revenir à mon chevet. Je suis fatiguée. J’ai froid. Alors que mes yeux lentement se closent, une fulgurante sensation de brûlure me frappe à l’abdomen et je comprends alors que c’est l’effet de l’alcool que vous versez sur ma plaie. Je ne peux contenir la douleur qui se fond dans mes gémissements répétés. Mais ce n’est que lorsque vous enfoncez vos doigts dans ma blessure que je hurle à plein poumons l’enfer que vous me procurez.

Je vous ai interdit de mourir, que vous sifflez tandis que je récupère, haletante, et affaiblie. Je tourne la tête, laissant l’obscurité vide du plafond pour chercher votre regard de glace. Pourquoi ? Vous avez tout à y gagner. Plus de FBI. Plus d’Empoisonneur. Plus personne pour interférer dans vos affaires. Et vous régnerez de nouveau sur votre Empire en tout sérénité, mes paupières se closent, gagnée, par la fatigue, mais il semblerait que vous m’empêchez de nouveau de sombrer.

Je vous avais dit de ne pas rester, mais vous n’en faites qu’à votre tête. Allez-vous finir par m’écouter ? j’ouvre les yeux. Vous êtes plus près désormais. Je peux vous voir, aussi clairement que le bleu cristallin de vos iris qui me sondent. Ce joli bleu cristallin…votre regard…que je n’arrive pas à me sortir de la tête depuis des semaines. Vous y êtes ancré et je déteste ça…Vous savez que je ne suis pas de nature docile. Oswald. Mes prunelles viennent se perdre dans vos yeux. Je suis seule maître de mes choix…et j’ai choisi de me battre à vos côtés.

C’est un silence qui s’ensuit, silence durant lequel mon regard s’intensifie, silence durant lequel le sang sur votre lèvre inférieure m’interpelle, silence durant lequel ma main vient glisser sur votre joue que mon pouce vient chérir en descendant lentement jusqu'à la petite entaille : vous êtes blessé… murmurai-je doucement avec une certaine inquiétude…

N'est-ce pas un comble ? N'est-ce pas ridiculement ironique ? Moi, lui ordonnant de ne pas mourir, elle, m'en présentant tous les bons aspects. Mes sourcils sont froncés, mes dents serrées si fort qu'elles pourraient produire un grincement. Tout n'est que contrariété, ce soir. Tout semble décidé à échapper à l'emprise de mes doigts, à commencer par sa vie. Si elle ne peut pas trouver la force de se battre alors je serai cet Orphée qui plongerait ses mains pour l'arracher aux eaux sombres du Styx. Je l'arracherais aux griffes de la Mort pour la maintenir en vie. Parce que nul ne peut aller contre ma volonté. Pas même la Mort.

Comment peut-elle naïvement penser que sa mort règlerait tous les problèmes quand finalement elle ne ferait qu'en engendrer de nouveaux ? Comment peut-elle songer à me désobéir, encore une fois ? Comment peut-elle oser disparaître en laissant derrière elle toute la discorde qu'elle a causé ? Dans mon bar. Dans mon être. Dans ma chair. Mon agacement prend le dessus sur mon inquiétude. Ma langue vient claquer contre mon palais et je dois passer une main dans mes cheveux poisseux de sueur et de sang pour y remettre un peu d'ordre.

Je la sermonne, une nouvelle fois, je l'accable de culpabilité car elle est l'unique responsable de cette situation. Je l'accable, elle et son esprit borné, elle et son incapacité à simplement écouter et suivre mes ordres. Je l'accable, enfin, à défaut de pouvoir exprimer cette déroutante inquiétude qui m'étreint.

▬ Vous savez que je ne suis pas de nature docile. Oswald. Je lève les yeux d'exaspération et d'agacement, comme si elle cherchait subitement à m'apprendre quelque chose d'évident. Nature docile... Il n'est même plus question de docilité. C'est de l'insurrection irréfléchie, tout bonnement. Je suis seul maître de mes choix…et j’ai choisi de me battre à vos côtés.

Lèvres pincées, sourcils froncés, je saisis son regard sans le lâcher. Pourquoi ferait-elle quelque chose d'aussi insensé ? Se battre à mes côtés... Le temps passé sous mon manteau lui ferait-il oublier ce qu'elle est et ce que je demeure ? Je n'ai pas oublié ce baiser qu'elle a déposé sur ma joue, au bal de charité. Je n'ai pas oublié le regard qu'elle me lançait lorsqu'elle découvrait cette strate insoupçonnée de ma personnalité. Elle m'a infecté. Tant et si bien qu'il me fallait la posséder.

Pesant, lourd, intense, ce silence. Et sa main vient glisser sur ma joue, m'arrachant une crispation à son contact. Mes doigts viennent se refermer assez fermement sur son poignet. Je ne suis pas quelqu'un de tactile, loin de là. Et pourtant, là où il ne m'aurait pas fallu beaucoup plus pour briser des doigts, je la laisse persister et effleurer ma joue à l'aide de son pouce. Ma peau brûlerait presque à ce contact.

Et pourtant, je la laisse faire. Comme je la laisse m'appeler par mon prénom. Comme je la laisse errer comme bon lui semble dans mon établissement. Comme je la laisse se montrer insolente impunément.

▬ Vous êtes blessé… dit-elle dans un murmure teinté d'inquiétude, alors que ses doigts effleurent ma lèvre fendue.

Un moment en suspension, durant lequel ma méfiance s'effrite. Mes doigts relâchent leur étreinte sur son poignet tandis que mon regard se fait moins dur.

▬ Je n'ai rien. je déclare, un peu sèchement. C'est le cas. Mon état et le sien ne sont pas comparables. Je reste là, immobile, sans la quitter des yeux. Quand le courant sera revenu, vous monterez à mes appartements. Vous y serez en sécurité.

Nevar

Jill

« Un pas de plus pour se perdre et l'on se trouve. »

J’agonise lentement et lentement je sens mes forces s’amenuirent tandis la froideur de la mort, tel un vent glacial, me parcourt l’échine. Les minutes s’égrènent alors que mon visage pâlit et mon corps meurtri tremble. Je lutte péniblement pour que le sommeil éternel ne m’emporte. Mes paupières tantôt se closent, tantôt découvrent vos exquises prunelles dans la pénombre.

Vous m’interdisez de mourir alors que je vous expose sur un plateau d’argent toutes les raisons pour lesquelles ma mort vous serait profitable. Ouvrez les yeux Oswald, c’est une évidence. Vous retrouverez la tranquillité de vos affaires, sans le souci d’avoir ce Renard errant dans un monde de loups. Pourtant, ce n’est pas le soulagement que je lis au fond de vos yeux, mais la colère, la contrariété, l’inquiétude sans pour autant cacher l’exaspération que mes arguments suscitent chez vous. Pourquoi…pourquoi rendez-vous la situation si compliquée… ? ne me jetez pas ce regard…je ne veux pas mourir avec des regrets, mais lorsque vos yeux s’égarent ainsi dans les miens, comment les ignorer ? je ne sais pas quoi penser et j’en viens à me fais des idées. Est-ce que…j’ai tort ?

Ma quintuplé doucement effleure votre joue mais vous l’entravez en l’empoignant fermement avec réticence : Vous êtes blessée… je souffle dans un murmure d’inquiétude tandis que mes doigts délicats frôlent votre lèvre fendue. Votre étreinte se relâche mais votre main ne quitte guère la mienne. Puis, sans contrôler mes gestes, mes doigts descendent très lentement jusqu’aux vôtres pour les enlacer. La chaleur de votre paume embrassant la mienne et vos prunelles délicieusement ancrées dans les miennes, me font tout à coup perdre pied. Est-ce que vous aussi vous… ?

Non Jill…tu es certainement folle…

Je n'ai rien vos paroles sont si froides pourtant votre toucher est tout le contraire. Quand le courant sera revenu, vous monterez à mes appartements. Vous y serez en sécurité. Vous gardez cet espoir de ma survie ? Je soupire désespérément: Oswald... Ouvrez les yeux. Je vais mourir. Vous devez l’accepter. Pourquoi ne l’acceptez-vous pas ? Pourquoi votre regard me semble tout à coup très éloquent ? Pourquoi ai-je ce sentiment étrange que vos prunelles me hurlent quelque chose en silence ? Avez-vous la moindre idée de ce que je ressens lorsque vous me dévisagez ainsi ? Me pardonnerez-vous cet écart ? mais, si je dois mourir, je veux en connaitre la saveur…Et, sans jamais vous quitter des yeux, je me redresse légèrement puis, je rapproche lentement mon visage pour me perdre sur vos lèvres.

Je songe à toutes ces étapes qui m'attendent, alors que mon navire est sur le point de sombrer. Tout ce que je vais devoir mettre en œuvre, parce que ce n'est pas une fin, ce n'est que le commencement... Les Bones & Ashes n'ont fait qu'allumer un feu dont la fumée noire ne fait que pointer mon terrier. Je ne déplore pas la perte de mes employés, pas même les pertes matérielles : demain, je pourrais tout reconstruire à neuf sans que mes finances ne s'en trouvent bouleversées... Le véritable problème vient du fait que dès lors, les projecteurs sont tournés sur le Raven, attirant l'attention des autorités. Je ne peux pas me permettre de laisser couler le Capitaine avec le navire. Mais ce n'est pas un problème quand tout est pris à temps. Et je sais déjà comment m'y prendre pour qu'il ne reste rien qui puisse me lier à cet endroit...

Ce n'est pas un problème quand tout est pris à temps... C'est le cas de mon renard blessé. Je la sens fébrile, je la sens vulnérable, et j'exècre la sentir si faible. Dans son regard, je perçois sa peur. Je peux lire l'abandon qu'elle se prépare à faire, et ça me contrarie. Alors je songe à la suite, pour la sortir de là.

Je ne sens pas ses doigts comme je le devrais lorsqu'ils viennent enlacer les miens. Je ne sens pas la chaleur qui devrait les envahir. Je ne sens pas la caresse de sa peau qui effleure la mienne. Mon regard perçant et sévère agrippe le sien alors qu'elle semble se nourrir d'un contact, d'une sensation que je n'arrive plus à imaginer. Je pourrais le lui dire. Qu'à l'image de mon cœur, je ne ressens plus rien depuis un moment déjà. Je ne suis pas insensible par choix, c'est simplement la vie qui m'a forgé ainsi. Je pourrais lui dire que mon âme est désertée d'amour, de passion ou de gestes doux, et que cette main qu'elle caresse ne sait plus rien faire d'autre qu'infliger de la douleur.

Mais est-ce finalement encore le cas ? Elle a déjà su semer le trouble dans mon esprit, infecter mes sens, raviver un désir. Le parfum entêtant de ses cheveux ne me quitte plus, imprégné dans le feutre du manteau que je lui ai prêté ce soir là… Je ne l’ai pas envoyé au pressing. Il n’a pas quitté le portemanteau de mon bureau depuis qu’elle me l’a retourné. Mes vêtements sont une peau qu’il m’est difficile de céder. Une peau qu’il m’est tout simplement impossible de prêter et de repasser derrière un autre… Sans mes vêtements, il me semble n’être rien d’autre qu’une créature chétive et vulnérable. Pour certains, ça ne semble qu’un apparat luxueux, quelque chose de simplement superficiel, mais c’est pourtant bien plus que cela. Quelque chose dont on ne peut pas me dépouiller.

▬ Oswald… soupire-t-elle, puis, sans crier gare, la voilà qui approche ses lèvres des miennes.

Mon regard acéré ne la quitte pas. Il me semble à cet instant que j’ai été bien trop aveuglé par mon désir charnel pour me laisser troubler par une ressemblance qui n’existait finalement pas. Elles ne sont en rien comparables. Ni leur visage. Ni leur regard. Et certainement pas la saveur de leurs baisers. Ce qui est arrivé, cette fois-là, avec Svetlana, n’est qu’une poussière sans saveur dans un océan de sable.

Elle. Je suis déstabilisé par la douceur qu’elle me réserve. A moi. Si mes mains ne peuvent rien ressentir, ce n’est pas le cas de mes lèvres. Pas le cas de mes autres sens. Mes yeux restent ouverts, un bon moment, sans que je ne bouge. Ma main abîmée se fraye lentement son chemin dans la nuque de mon renard pour s’enfouir dans une chevelure dont je ne peux qu’imaginer la douceur. Peut-être un peu fermement, mes doigts se referment, gardant jalousement pour moi ce précieux instant, alors que je consens à fermer les paupières pour lui rendre son baiser.

Quelle ironie… Moi qui songeais tant à la faire mienne, je n’avais pas remarqué qu’elle me possédait déjà…