Ce n'est pas mon reflet, dans le miroir. Ou du moins, ce n'est pas moi aujourd'hui. La petite fille aux cheveux coupés dans un soigneux carré me détaille de son regard émeraude et incertain. Je me souviens de ce jour. Et je sais exactement où je me trouve. Je dois avoir peut-être cinq ou six ans et c'est le réveillon de Noël. Je suis montée à l'étage avec les vêtements que j'ai reçu en cadeau, en avance. Une robe et un gilet. Tout le monde insiste pour que je les essaye, pour que je montre à quel point je suis jolie dedans.

Avec appréhension, je descends les marches en bois qui ne grincent même pas sous mes pas. Même le parfum de cire et d'agrumes me revient en mémoire, quand je revis mentalement cet instant. D'un pas léger et discret, enveloppée dans mon gilet, je rejoins le salon dans lequel mes grands-parents me complimentent, où ma tante me fait un sourire. Mais, silencieuse, je garde les lèvres pincées tandis que de mes grands yeux verts et encore candides, je cherche la personne dont l'avis est le plus important. Un mot, un regard de lui, c'était tout ce qui m'importait.

J'évolue dans la maison pour finalement atteindre l'entrée dans laquelle je surprends un échange dont aujourd'hui j'ai oublié la teneur, mais je sais pourtant ce qui se passe. Je le sais et ça m'étreint le coeur parce que je sais très bien, du haut de mes cinq ou six ans, ce que ça signifie, quand mon père passe sa tenue et s'en va. J'entends encore ma mère lui demander si ça ne peut pas attendre demain matin alors qu'il se mure dans un silence contrarié sans prendre la peine de lui répondre.

▬ Papa ? je m'entends lui murmurer, dépassant un peu de l'embrasure de la porte.

J'aurais voulu qu'il se retourne. Qu'il mette un genou à terre et me prenne dans ses bras, qu'il me serre fort. J'aurais voulu qu'il me dise qu'il allait revenir vite et qu'il détestait devoir partir loin de nous, loin de moi. J'aurais voulu qu'il me dise que rien de ce qui pourrait se trouver au pied du sapin ne pourrait être aussi précieux que moi. J'aurais voulu qu'il me chérisse comme un trésor et me répète à quel point j'avais de la valeur...

J'aurais voulu qu'il m'aime et me le montre.

L'Amiral Joseph Collins s'est contenté d'un coup d'oeil par-dessus son épaule, sans complimenter la robe ni me prendre dans ses bras. D'une voix rauque et inflexible, il a simplement annoncé avec cette distance et cette froideur habituelle qu'il devait y aller.

La porte s'est refermée. Mon coeur s'est fissuré. Ma mère a voulu soigner les apparences, et me rassurer. Elle a pris un moment dans la cuisine puis elle est retournée avec les invités. Et je suis restée là, à regarder la porte, à espérer, encore et toujours, qu'il ferait demi-tour.

Une main s'est finalement posée sur ma tête, m'obligeant à lever le nez pour trouver le regard de Doug. Il ne savait pas forcément quoi dire, ni comment arrêter mes larmes, mais même si son étreinte était gauche, je me souviens de son parfum et de la chaleur de ses bras...

Décembre 2022

Ce n'est pas mon reflet, dans le miroir. Ou peut-être que si finalement. Le reflet d'un moi que j'ai longtemps caché ou dénigré. Je relève doucement le menton et lisse la robe noire et assez simple que j'ai passé pour l'occasion. Je n'ai jamais compris pourquoi c'était si important de bien s'habiller pour ce genre d'événement... Alors qu'après tout, personne ne va sortir, on va tous rester autour de la table, à manger plus que de raison... Ma mère dirait que c'est important pour les souvenirs, pour les photographies qu'elle consigne chaque année dans ses albums. Doug et moi, on avait le don de la mettre dans tous ses états, quand on débarquait avec la tenue de boulot, loin d'être apprêtés...

Pourtant ce soir, je fais cet effort, et à vrai dire, ça ne me semble même pas en être un, finalement. On a bossé toute la journée, mais même en ayant terminé un peu tard, ça me laisse l'occasion de passer par chez moi avant qu'il ne passe me récupérer.

Ce n'est pas mon reflet, dans le miroir. Pas celui de Collins, de la brigade criminelle, en tout cas. Alors que j'avise le maquillage léger sur mes paupières, essayant de jauger si ce n'est ni trop ni pas assez, j'entends frapper. Les trois coups caractéristiques et mes lèvres esquissent un sourire. Je n'ai pas besoin de lui dire d'entrer, j'entends la porte s'ouvrir. Je souffle, comme pour me débarrasser d'une appréhension que je ne comprends pas vraiment.

▬ J'suis dans la salle de bain, j'arrive, je lui signale pourtant en lissant une dernière fois ma robe.

Mes doigts se triturant avec une légère nervosité, je le rejoins en cherchant malgré moi cette approbation dans son regard, cette étincelle qu'il y avait le soir où il m'a emmenée dîner pour mon anniversaire. Et je suis loin d'être déçue par son accueil...

Tu es très élégante.

Mon regard se dérobe légèrement à son compliment et je ressens le besoin d'humecter mes lèvres. Au fond de moi, il y a cette petite fille, dans le reflet du miroir, qui partage mon sourire quand il vient poser ses mains sur ma taille...

Je remarque qu'il porte la montre que je lui ai offerte, un peu plus tôt, dans la soirée, à la sortie du boulot. Je ne sais pas, peut-être la pudeur qui faisait que je préférais la lui donner dans un cadre plus intime que devant sa famille... J'ai jamais fait de cadeau à mes.... autres partenaires. Disons que j'ai jamais rien partagé de suffisamment concret et solide avec quelqu'un, avant lui... Cette montre a été d'ailleurs un sujet de discorde et de malentendus au boulot. J'avais juste demandé l'adresse à Jim, dont l'horloger fait parti de sa famille. Et cet abruti s'est mis en tête autre chose. Bref, Gabriel et lui se sont ... accrochés, et finalement, ce soufflet qui montait pour rien s'est dégonflé.

Un large sourire aux lèvres, mes doigts glissent jusqu'à la montre alors que je cherche son regard :

▬ Tu n'es pas mal non plus... Je suis contente qu'elle te plaise...

Je lève le nez, laissant mon regard capturer le sien. Après un hésitation, il rompt le silence :

▬ Dylan, je t'ai acheté quelque chose mais il ne faut pas que tu le prennes mal... Tu penses que c'est possible ?

Je fronce légèrement les sourcils, à la fois intriguée et circonspecte, me risquant tout de même à une petite plaisanterie.

▬ Si c'est un lot de casseroles, elles ne seront pas usées... Dis toujours ?

Il fouille dans sa poche pour en sortir un écrin et alors que mes yeux s'arrondissent comme des billes, je n'ai pas le temps de dire quoique ce soit puisqu'il lève un index vers moi, reprenant la parole :

▬ Ce n'est pas une bague de fiançailles. Je fixe alternativement Gabriel, puis l'écrin sans pour autant ouvrir la bouche. Je l'écoute simplement, avec cette soudaine sensation de sècheresse, sur mes lèvres. Mais je ne veux plus que qui que ce soit puisse croire que tu es disponible. Ce n'est pas une laisse ou une cage... Si tu n'es pas d'accord avec ce que ça veut dire, il est temps de me le dire tout de suite.

▬ ...Dit comme ça, ça y ressemble bien, pourtant... j'arrive finalement à souffler, en me pinçant les lèvres, soudainement intimidée par ce symbole.

▬ Mais non, ce n'est pas... commence-t-il à rétorquer, en desserrant les lèvres alors que je le dévisage avec curiosité, en me mordillant la lèvre.

▬ ... Tu peux pas m'avoir sans t'engager toi-même, pas vrai ? Est-ce que je doute de lui ? Non. Mais si je lâche du mou sur la corde, alors j'attends de lui qu'il fasse de même, de son côté, c'est normal, après tout... Non ? Mon regard émeraude brille d'une nouvelle appréhension alors que je lui demande finalement, les yeux posés sur l'écrin : ... Ouvre-le...

Sans un mot, il ouvre l'écrin et me présente un anneau argenté serti de trois petites pierres. Alors que mes yeux doivent s'arrondir une nouvelle fois de surprise, je laisse échapper d'entre mes lèvres un "Oh putain la vache..." pour le moins intimidé.

▬ Laisse... C'était une mauvaise idée...

Je le retiens, mes doigts venant chercher son avant-bras puis finalement ses mains. Je dois déglutir mais j'arrive tout de même à bredouiller maladroitement :

▬ Attends !... Elle est... vraiment jolie... ça... Tu sais que ça va jaser, au boulot... mon oncle, ma famille, la tienne... Ils vont s'interroger, tu crois pas...? Je cherche son regard parce que j'ai besoin d'être sûre, je crois, que c'est bien ce qu'on veut tous les deux... Il hausse simplement les épaules et j'humecte une nouvelle fois mes lèvres. ... C'est d'accord... Mais j'veux que t'en portes une, toi aussi.

Mon regard vert soutient le sien, avec au fond, cette petite crainte qu'il ne refuse de se prêter à ce qu'il attend pourtant de moi. Moi ? qu'il me dit et j'acquiesce en pinçant les lèvres.

▬ Je... Oui, c'est d'accord.

Mon coeur va exploser et je vais crever là, je crois. Je crois que c'est le plus grand acte de foi que j'ai fait de ma vie, jusque-là. Je me racle la gorge, submergée par une tornade d'émotions diverses. Je me racle la gorge, pour faire bonne figure et tend finalement mes mains. Il vient cueillir ma main gauche, et passe la bague argentée à mon annulaire, sans cesser de chercher à capter mon regard qui lui se perd parfois sur le métal doux et froid qui vient de rejoindre mon doigt. Je sens mes joues s'embraser en même temps que mon coeur qui s'emballe. Quand je relève finalement les yeux vers ceux de Gabriel, c'est pour me pendre à son cou pour l'embrasser alors qu'il me serre dans ses bras.

▬ Je t'aime, chuchote-t-il à mon oreille.

▬ Moi aussi... je lui murmure en retour, glissant la bague sous mes yeux, au-dessus de l'épaule de Gabriel pour mieux réaliser...


D'après un flash RP daté de décembre 2022 et écrit en accord avec  @Gabriel M. Mannoia  

Ce n'est pas mon reflet, dans le miroir. Mais celui d'une femme accomplie, qui a su guérir des blessures profondes qu'elle pensait avoir enterré pour toujours. Ce n'est pas moi que je vois, quand je regarde ce reflet qui me dévisage avec bienveillance. Quand je regarde autour de moi, le décor a changé, mais le rituel reste le même. Et une nouvelle appréhension s'empare de moi quand mes mains glissent sur ma robe pour la lisser. L'anneau à mon doigt à fait de la place à un autre qui semble s'y être incrusté jusqu'à ne faire plus qu'un avec ma chair.

Mes mains ne font pas que lisser la robe : elles s'arrêtent sur mon abdomen dans un geste protecteur et maternel dont j'ai un souvenir troublant. Je n'ai pas entendu toquer à la porte mais cette dernière s'ouvre en grinçant, tandis que mon reflet ne tarde pas à être rejoint par le sien. Je sens sa chaleur dans mon dos et ferme doucement les yeux. Ses mains rejoignent les miennes, effleurant mon ventre tandis que son visage vient se nicher dans mon cou. Son parfum apporte avec lui la sérénité.

▬ Où sont les garçons ? je m'entends lui demander, sans comprendre pourtant de qui je suis en train de parler.

Il me répond qu'ils sont avec leurs oncles, à terminer de décorer le sapin. Il me demande alors où se trouve l'ange, cette décoration qui, au-delà de sa propre enfance, doit dater de celle de Nonna... J'esquisse un sourire espiègle en rouvrant les yeux et cherche à capter son regard dans le miroir.

▬ Je l'ai mis de côté, pour toi et l'un de tes fils... C'est notre petit rituel, non...?

Il râle un refrain auquel je suis habituée mais je sais qu'il prendra ce moment avec eux, même si c'est à l'abri des regards... Finalement, une voix annonce :

▬ Dylan, les voilà !

Et l'appréhension revient parce que je sais, au fond de moi, de qui il s'agit. Et qu'il y a toujours cette inquiétude de petite fille quand je sais que mon père est là.
Je prends une inspiration et nous rejoignons le salon. Un peu en retrait, je contemple cette grande famille qui est maintenant la mienne accueillir les miens comme s'ils avaient toujours fait parti du décor.

J'avance d'un pas hésitant, mon regard croisant enfin celui de mon père alors qu'il abandonne ses petits-fils à ma mère. Un silence durant lequel il me regarde. Il me regarde vraiment.

▬ Tu es radieuse... lâche-t-il finalement, un peu maladroitement, ouvrant légèrement les bras sans trop oser.

▬ Merci... Papa...

Est-ce que c'est mon cœur qui tambourine comme ça ? Est-ce que c'est un bruit extérieur qui cherche à me ramener à la réalité ? Pourtant, je les sens, ses bras, qui s'enroulement gauchement et avec lenteur autour de mes épaules quand je viens finalement me glisser timidement dans ses bras.

▬ Joyeux Noël, Dylan...


Et voici la fin de ce Christmas Carol.    
J'ai pris beaucoup de plaisir à l'écrire.