30 juin 2022 - durant la nuitElle est là, se tenant immobile à contempler la toile qui la domine. Une lumière vacille dans un coin. Ou bien peut-être est-ce une nouvelle fois ces visions qui l'assaillent... Comme ces images qui se succèdent à une vitesse inintelligible. Des souvenirs ? Un passé qui ressurgit ? Ou bien des produits d'un délire causé par une injection qu'elle n'aurait peut-être pas dû accepter...
Elle se sent fiévreuse... et pourtant enivrée.
Elle a déjà créé d'innombrables toiles, mais jamais rien... de tel. Pourquoi ne pas l'avoir fait avant ? Cela semble si évident après coup. Ses amis qui l'ont quittée, les critiques qui ne croyaient pas en
elle, les commanditaires et autres mécènes... Bientôt, ils verront, tous.
Mais, il manque encore quelque chose…
Sa main s'approche de la toile d'où suinte encore cette encre carmin qui vient s'échouer parterre, et sur le bout de ses souliers.
Je comprends ce que tu dois ressentir. Perdue. Seule. Sans espoir. Tu le mérites probablement. Mais même pour toi, il y a encore un moyen. Un moyen de tout récupérer. La seule chose importante que tu aies désirée. Achève-la. Tout comme il avait tué la peintre en toi, tu tuerais l'œuvre qui te retenait prisonnière et tout ce qu'elle signifiait. Tu tuerais le passé. Et une fois ce passé mort, toi-même serais libre. Tu tuerais cette monstrueuse âme vivante et ainsi, délivrée de ses horribles reproches, tu serais en paix. Tu saisis l'objet et y plantas le couteau...
Elle relève la tête, surprise une nouvelle fois par cette succession de pensées, de voix et d'images. Son regard est de nouveau happé par son œuvre qu'elle en ignore la puanteur qui ne tardera pas à ronger la toile.
Une couche de vernis devrait suffire. C'est presque fini.
Elle le sent.
Sa création.
Son Grand œuvre.
"Et tout cela grâce à toi..." murmure-t-elle, en effleurant le visage encore humide du portrait...
Tout portrait qu'on peint avec âme est un portrait, non du modèle, mais de l'artiste.
Oscar Wilde