Un moment inutile || Solo. écrit Mer 22 Juin - 23:30
Un moment inutile
"The past is a puzzle, like a broken mirror. As you piece it together, you cut yourself, your image keeps shifting. And you change with it. It could destroy you, drive you mad. It could set you free."
La pièce est large, aux couleurs épurées. Les meubles d’inspiration scandinave poussés contre les quatre murs, la seule source de lumière une simple lampe à ampoule LED. Elle se trouvait là, en plein milieu de la pièce, immobile comme une statue de terre cuite alors qu’elle épiait du regard une toile vierge reposant sur un chevalet en bois. L’horloge digitale annonçait à peine minuit. Dans sa main gauche, dominante, un instrument à la pointe bleutée. Elle ne portait rien d’autre qu’un t-shirt froissé bien trop grand pour elle, parsemé de tâches rougeâtres. D’un mouvement de poignet, elle viola la pureté de cette toile blanche comme la neige. Se perdant dans les couleurs qu’elle produisait, elle peignit un ciel sombre et aux nuages capricieux. Dissimulé quelque part dans l’horizon en dents de scie et défiguré d’immeubles crasseux, un panneau publicitaire dépassé. « Vote for Eric Garcetti for the 2013 Mayoral Election ». Elle ignorait depuis combien de temps déjà elle se tenait là, son bras se gesticulant dans tous les sens comme s’il possédait sa propre volonté. Elle ignorait également s’il faisait déjà jour, dehors. Non pas que les volets étaient fermés, mais dans son esprit elle était remontée dans le temps. Le secret du voyage temporel, découvert par une femme et son chevalet.
La nuit était sombre, et la lune s'était découverte une timidité maladive, cachée derrière les nuages. L'année était encore jeune, les musiques de Frank Sinatra que l'on écoute à Noël raisonnaient encore dans nombre de foyers. Postée ainsi sur le toit d'un magasin, elle attendait, téléphone en main. En bas, au niveau de la rue, des mots anglais se mélangeant à quelque dialecte étranger qu'elle ne comprenait pas. Elle tremblait, était-ce le froid caractéristique de l'hiver qui avait tel effet sur son corps, ou toute autre chose ? Retroussant la manche droite de son duffle coat Gloverall, elle porta son index et son majeur sur son avant-bras, légèrement rugueux. Du relief. Les marques étaient toujours là, l'une d'elles légèrement violacée. Elle n'avait rien mangé depuis trois jours.
Soudain, un bruit métallique derrière elle. Quelqu'un ouvrait la porte menant sur le toit où elle se trouvait. Se tenant là, elle mordit l'intérieur de ses joues à l'apparence de celle avec laquelle elle avait demandé un entretien. Ce n'était rien d'autre "qu'Elle".
J'ai entendu dire que tu souhaitais me parler ?
A l'écoute de sa voix, l'ange déchu ne put s'empêcher de mordre un peu plus fort, le goût de sa salive remplacé peu à peu par celui salé de l'hémoglobine. Son bras lui grattait. Sans un mot, elle plongea sa main dans sa poche intérieure, en retirant un billet d'avion pour New York. Aller simple dans trois heures.
Je... Je ne comprends pas ? Le regard de J. trahissait une vulnérabilité soudaine à la vue de l'objet. Elle feignait juste l'ignorance.
C'est fini pour moi. Je pars, d'une manière ou d'une autre. Le ton de voix de la brune aux cheveux longs était sec. Elle en venait au fait. Son interlocutrice baissa alors le regard, s'asseyant à même ce sol sale caractéristique des villes.
Je ne sais pas ce qu'on va faire sans toi. Ce que... Je... Vais faire sans toi. Celle qui était toujours debout leva les yeux au ciel à cette réplique, sa tête se secouant de gauche à droite. Les frissons qu'elle ressentait de manière quasi permanente ces derniers temps la poussait au bout de la mesquinerie, et celle qui en était responsable se trouvait dorénavant à ses pieds. Littéralement et, d'une certaine manière, figurativement.
Tu continueras à vivre ta vie, comme tu arrives à le faire depuis... Toujours ? Cracha-t-elle avant de baisser le regard sur les passants une dizaine de mètres plus bas, allant et venant de toutes les directions dans une danse chaotique parfaitement chorégraphiée. Qu'est-ce qu'elle n'aurait pas donné pour être l'un d'eux, un pauvre type ignorant tout de la merde qui se déversait tous les jours dans cette ville et dont la seule priorité était d'allumer la télévision après une journée de travail aliénante. A la place, elle était devenue figurativement un parasite, un rouage dans la machine de merde, pourrissant un peu plus la vie de ceux qui étaient moins chanceux qu'elle encore. Elle qui voulait aider les gens par la vocation qu'elle s'était choisie, voilà qu'elle les enfonçait un peu plus dans leurs problèmes. Son corps entier lui grattait. Une colonie de fourmis sur sa peau.
Son interlocutrice laissa alors échapper un soupir, puis un sanglot. Ces sons-là sonnaient comme un grincement insupportable à ses oreilles. Elle avait commis des actes irréparables pour cette femme, elle avait souillé son âme, elle avait buté pour elle... Elles ne se parlaient presque plus, et voilà que maintenant elle se met à pleurer comme une enfant qui doit dire au revoir à un animal trop vieux que les parents envoient se faire piquer.
Arrête, tu vas ruiner ton maquillage. Lui lança-t-elle d'un ton moqueur. Bien qu'elles ne se parlaient pas, la tremblotante avait remarqué que son ancien amour s'était liée d'amitié avec un type qui faisait le même... Boulot qu'elles. Elle avait vu les messages salaces que ce dernier envoyait à la chialeuse, et ils avaient donné à la brune une envie meurtrière. Un départ de cette vie de merde sur les chapeaux de roue. Elle pourrait les buter tous les deux avant de retourner l'arme contre elle même. Le type n'était, en plus, même pas de la communauté. Elle avait mal à la tête. Quant à moi, j’ai passé trop de temps à pleurer en pensant à toi… En pensant à nous. Continua-t-elle, un léger craquement dans sa voix trahissant sa peine qu’elle essayait de camoufler du mieux qu’elle pouvait.
Je suis désolée... Chuchota son interlocutrice avant de se lever, le visage ruiné par les larmes. Je sais comment te faire te sentir mieux... Elle pris une inspiration avant de pointer sa joue. Frappe moi.
Pauvre conne. Préférait-elle se faire passer à tabac que de dire les mots dont Elizabeth souffrait de l'absence ?
Impassible face à ce ridicule spectacle, l'ange arriva à calmer ses tremblements par la force de son mental avant de répondre avec un plaisir impossible à dissimuler. Elle avait la chevelure ébouriffée.
Moi, te frapper ? Je connais une méthode bien plus efficace pour te faire souffrir. Au regard confus de son interlocutrice, elle esquissa un léger sourire avant de l'enlacer de toutes ses forces et de toute la tendresse dont son cerveau grillé et sous-alimenté était capable de produire. Se blottissant contre l'amour de sa vie, elle lui entonna une mélodie à l'oreille. La serrant ainsi dans les bras, dans l'intimité de ce toit sur lesquelles elles se trouvaient, le temps s'était arrêté. La chaleur de leurs corps les protégeant du vent froid hivernal qui régnait en ces lieux. Le contact physique avec tel monstre lui donnait envie de s'arracher la peau et de vomir.
Stupide... Je suis vraiment la reine des connes. Pestait celle qui était enlacée alors qu'elle abattait ses poings contre ses cuisses de toutes ses forces, parsemant ses pleurs de grognements de douleur.
Elle qui avait l'air si forte, si indépendante... Au bout du compte, elle était aussi abîmée que son admiratrice. Deux femmes détruites qui tentaient de survivre dans ce monde impitoyable dans lequel elles avaient été happées par manque de chance. Et quoi de plus normal ? Dans ce genre de vie, c'était la mort ou la prison... Et en ce qui concerne la première option, c'était surtout vos amis qui venaient à vous pour vous faire passer de vie à trépas... Et ils pressaient la détente avec leur plus beau sourire.
Promets-moi que toi aussi, quand la situation deviendra insupportable, tu partiras... Lui avait susurré à l’oreille la belle brune à lunettes. Sa reine sentait bon, une odeur vanille mélangée à de la cannelle. Elle avait pris sa douche récemment, et les images d’un temps révolu firent presque pleurer notre ange une fois de plus. Le froid lui brûlait la peau.
Partir ?… C’est trop tard pour moi, Elizabeth. Lui avoua-t-elle avec un soupir.
Alors promets-moi au moins de venir me rendre visite ? Que ce soit à New-York, en Chine… Putain, même sur Mars. Je t’attendrai. La brune pris alors une inspiration, une larme solitaire et opaque coulant le long de sa douce joue.
Je te promets… Et je te promets aussi de changer. Pour toi.
Le bruit du téléphone. Il était neuf heures du matin.
greenie strawberry
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