« Imagine le regard qui s'envole. Ma main couvre l'avant-bras d'Alexander assez naturellement – c'est d'ailleurs une torture pour moi de rester constamment immobile parce que je suis d'ordinaire plutôt tactile en essayant de ne pas être toutefois intrusif – alors qu'Alita part chercher un verre. Ce qui m'interpelle, ce n'est pas qu'elle s'éloigne mais qu'un homme s'empare du verre qu'elle s’apprêtait à boire. L'homme en question pivote vers un autre et le saisit à la gorge. Je penche la tête sur le côté et m'approche de la scène en observant les personnes aux alentours, les regards sur le verre coupable qui repose désormais sur le bar, plein. Il le force à boire. Ma gorge se noue au souvenir de cette sensation. C'est une sensation horrible, mes doigts passent sur mes lèvres.

« Imagine le verre vide, reposé ainsi alors que l'homme est désormais allongé sur le sol. Je lance un regard tout aussi stupéfait à Alita avant de tendre la main à l'homme qui n'ose pour l'instant pas se relever. Je soupire et passe mes mains sous l'un de ses bras pour l'enjoindre à se lever. Vu la scène qui vient de se dérouler sous nos yeux et le conseil avisé de l'inconnu – dont je n'ai pas tout entendu mais complété les blancs – je devine que l'homme au sol ne tardera pas à se sentir au moins vaseux. Ma main le prend fermement sous le bras et je confie à Alita que je l'accompagne aux vestiaires.

« Imagine. Imagine, cette chaîne qui ne se brise pas. Je ne fais pas les poches de l'homme, la police y trouvera probablement ce qu'il vient d'ingérer. Mais s'il essaie de rentrer chez lui après cette correction, tout ce qu'il risque c'est d'aller au fossé ou de percuter quelqu'un. Et je ne suis pas sûr que lui faire avaler sa mixture était vraiment la meilleure solution. À vrai dire, j'en suis certain, même. Je le laisse s'asseoir près des manteaux et demande aux jeunes gens présents d'appeler les autorités. L'homme demeure assis, penaud et manifestement sous les premiers effets de son verre. J'attends à peine quelques minutes et, ne souhaitant ni mentir dans cette histoire, ni que mon nom y soit impliqué – je suis conscient de ce que je suis : un immigré lgbt dans un pays qui n'aime pas forcément les syriens, ni ceux qui sortent de la cishétéronormalité. Mes minces connaissances au sein de la police dans le cadre de mes consultations ne me fourniraient aucun passe-droit pour éviter un éventuel interrogatoire musclé ou trop long.

« Imagine, Mahomet. Imagine ce cycle de la peur qui ne s'arrête jamais. C'est une fatigue constante, constante que d'avoir peur de ce qui pourrait arriver, que les craintes soient raisonnables ou qu'elles ne le soient pas. Je retourne dans la salle principale et cherche Alita. L'homme aux curieuses manières se trouve sur mon chemin. Je le dévisage quelques instants, pour bien incruster les traits de son visage dans ma mémoire. Loin de moi l'envie de lui faire la morale. Je ne suis pas un moralisateur, je ne sais même pas s'il pourrait être raisonné, mais simplement, je me dois d'essayer. De lui dire peut-être quelques mots qui feront leur bout de chemin, qui sait...
▬ Ce que vous avez fait n'était pas nécessaire. La violence n'est jamais la solution...

Allah a préparé le Paradis pour « ceux qui dépensent dans l’aisance et dans l’adversité, qui dominent leur rage et pardonnent à autrui - et Allah aime ceux qui font le bien. »

Les notes s'effacèrent et elle tourna pour offrir à Larry la chaleur de son dos. Cette vue sur sa nuque lui procura un frisson d'excitation qu'il essayait pourtant de repousser le plus possible, sentant qu'il ne saurait pas s'arrêter s'il laissait parler ses plus bas instincts. Tout semblait une sorte de jeu de rôle dans son existence, imiter les comportements les plus corrects, ceux qui n'éveillent pas de dégoût, de peur ou de colère. Il hésita une seconde et cala fermement ses mains contre les hanches de la jeune femme, semblant découvrir une facette à laquelle il ne s'attendait pas. Comme deux véritables inconnus l'un pour l'autre.

Les notes s'effacèrent et elle tourna pour offrir à Larry la chaleur de son dos. Et captura ses mains à lui pour l'amener à refermer sa prise sur elle. Il l'amena fermement contre lui et continua de tanguer sur le rythme déformé et ralenti des notes autour d'eux. Ses paupières l'enfermèrent soudain dans l'obscurité, alors qu'il faisait abstraction de ce qu'il y avait autour d'eux. Son bassin contre les fesses de Jill, il approcha son visage d'elle, il ne s'était jamais senti si proche d'elle. Et pourtant, il l'avait déjà touchée, il l'avait vue les paupières closes, sur le point de se faire dévorer toute entière. Mais à cet instant, elle semblait ne pas être la même femme.

Les notes s'effacèrent et elle tourna pour offrir à Larry la chaleur de son dos. Une seconde, il se demanda si elle ne jouait pas la comédie, si elle n'était pas sur le point de l'empêcher d'aller plus loin. Il arracha une de ses mains à celles de Zoey et passa un bras devant les épaules de la jeune femme, plongeant le nez contre son cou alors que sa tête s'échouait vers lui.